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inévitables callosités de ses extrémités mal soignées, qu’on croirait presque une Européenne égarée au Gabon, n’était la simplicité barbare de ses colliers et de ses ceintures de coquillages. Ce ravisseur novice a la galanterie brutale ; la caresse de ses horribles mâchoires a fortement entamé la gorge blanche de sa victime, qu’il écrase contre son torse velu. Celle-ci ne se débat plus sous cette effroyable étreinte, et, morte ou à demi morte, laisse pendre sa tête et ses jambes inertes. Quant au monstre hideux, la gueule en avant, il marche à grands pas, emportant sa proie vers sa caverne. Cette scène horrible est-elle la représentation vraisemblable d’un fait constaté par les naturalistes ? Est-ce une simple fantaisie d’artiste qui s’amuse à juxtaposer, dans un duo sanglant, pour obtenir un effet de contraste et de terreur, la laideur brutale de l’animal et la beauté meurtrie de la femme ? Dans les deux cas, les dimensions modestes d’une terre cuite ou d’un bronze n’eussent-elles pas suffi à un jeu d’esprit ? Plus le talent de M. Frémiet s’y montre énergique, souple, sûr de lui-même, plus il nous peine, nous l’avouons, de le voir se déployer en une pareille conception. La valeur de l’œuvre est incontestable, la mise en scène est faite avec autant de goût que le comporte un sujet pareil, l’exécution est sobre, ferme, puissante ; néanmoins, sur quelle promenade peut-on placer cette sauvage idylle où elle ne soit un épouvantail pour les imaginations ? Au Jardin des Plantes peut-être, mais, à moins d’être en un endroit clos, elle y serait encore, on peut le croire, d’un déplorable exemple pour les chimpanzés et ferait tourner plus d’une fois le lait des nourrices.

De plus douces églogues inspirent d’ordinaire les jeunes sculpteurs. MM. Carlier, Albert Lefeuvre, Barrau, Alfred Lenoir, Hector Lemaire, Sul-Abadie, Cadoux, moins savans et moins hardis, célèbrent tout bonnement les joies de la famille, de la jeunesse et de l’enfance. La Famille de M. Carlier est un groupe important qui assemble quatre personnages, un père, une mère, un enfant, un chien. La jeune mère, assise sur une pierre, forme le centre ; c’est son affection qui rapproche et réunit les trois autres créatures. Berçant de la main droite son enfant endormi sur ses genoux, elle penche, d’un air câlin, sa tête sur l’épaule de son mari, qui, agenouillé sur une gerbe de blé, la serre contre son cœur en approchant ses lèvres de son front. En même temps, elle laisse traîner sa main gauche sur le dos du bon chien accroupi près d’elle ; celui-ci, prenant part à la fête, avance familièrement son museau pour regarder l’enfant. La conception est simple et ingénieuse à la fois, et M. Carlier s’est efforcé consciencieusement d’en dégager toute la poésie. Les attitudes sont heureusement choisies, les anatomies