Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le vieux père, assis à terre, agonise à son côté. Il nous est difficile de nous imaginer les habitans du monde primitif autrement que comme des êtres puissans et robustes, possédant au moins, à défaut d’armes perfectionnées, la force physique qui leur permettait de lutter contre les bêtes et contre les élémens. Les troglodytes de M. Cordonnier semblent, au contraire, décharnés et déformés comme des victimes épuisées d’une civilisation avancée ; le chef de la famille, trop chétif pour la défendre, inspire, malgré son attitude crâne, plus de compassion que de confiance. Peut-être suffit-il de cette erreur fondamentale de conception pour que le groupe de M. Cordonnier, malgré la grande habileté du travail, laisse bien des yeux indifférens.

Puisque nous sommes dans les âges préhistoriques, arrêtons-nous devant le groupe dramatique de M. Frémiet, auquel le jury a décerné la médaille d’honneur. Il n’est guère probable que la fantaisie archéologique aille jamais plus loin dans la hardiesse de ses conceptions rétrospectives. M. Frémiet, on le sait, est un des artistes les plus originaux et les plus ingénieux de notre temps. Les études scientifiques et les études historiques l’ont de bonne heure attiré à la fois. Les animaux, entre ses mains, sont devenus des personnages tantôt graves, tantôt spirituels, qui jouent leur partie dans la comédie humaine sans cesser d’être d’excellentes bêtes. Personne ne recherche avec plus de respect que lui, sous les débris des âges, les costumes bizarres et les armes curieuses ; personne non plus ne retrouve mieux, sous ces vieilles ferrailles, l’âme héroïque et douce de ceux qui les portaient : le Louis d’Orléans du château de Pierrefonds et la Jeanne-d’Arc de la place des Pyramides comptent parmi les œuvres supérieures, à la fois savantes et inspirées, qui honorent le plus notre pays. Ses confrères avaient donc toute raison d’attendre impatiemment une occasion de lui donner un témoignage d’estime et d’admiration depuis longtemps mérité. Peut-être est-il permis de regretter que cette occasion, qui s’est déjà présentée et qui se représentera encore, ait été justement saisie alors que le talent de M. Frémiet se montrait sous sa forme non pas la plus haute, mais la plus étrange, en sorte que l’évocateur poétique et délicat de nos plus nobles figures nationales se trouve spécialement désigné à l’admiration de ses compatriotes comme le sculpteur épique des gorilles !

Quoi qu’il en soit, puisque Gorille il y a (Troglodytes gorilla du Gabon, s’il vous plaît ! ), nous constatons sans peine que ce quadrumane, fort avancé dans ses aspirations darwinistes, a manifesté on esprit de sélection remarquable en choisissant, pour l’emporter sous son bras, une si belle femme, si mûre à point, si bien proportionnée, si dodue, en si bon état, sauf quelques