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transformer et renouveler les sujets les plus rebattus ; n’en avons-nous pas admiré un exemple éclatant, dans ces derniers temps, lorsque M. Falguière exposa son admirable Saint Vincent de Paul, ce chef-d’œuvre d’une majesté si simple et d’une expression si humaine ?

Le mythe d’Orphée, comme le mythe de Circé, est d’une signification à la fois si claire et si étendue, se prêtant si bien à toutes les interprétations de l’imagination personnelle, que les sculpteurs, en quête d’un sujet de belle figure expressive, y auront recours bien souvent encore. Si Circé l’enchanteresse est la belle femme, irrésistible et malfaisante, qui change les héros en brutes, Orphée, le musicien, c’est le beau héros, sensible et bienfaisant, qui apprivoise les monstres, pacifie les hommes, attendrit les dieux ; il est la gloire, la gloire toujours triste de l’humanité comme elle en est la honte, la honte toujours triomphante. Le génie, dompteur de la matière, aux prises avec l’infortune, la beauté, souveraine par les sens, triomphant des âmes abaissées, ce seront là toujours des thèmes de réflexion pour le penseur et de rêve pour l’artiste. C’est dans les enfers que MM. Peinte et Verlet ont tous deux rencontré le poète. M. Peinte l’y a vu au moment où il y pénétrait, plein d’enthousiasme et de désir, venant réclamer aux dieux sombres sa chère Eurydice. Grand, vif, agile, souriant sous ses longs cheveux, de ses deux bras dressés au-dessus de sa tête faisant sonner sa grande lyre, il passe, d’une enjambée rapide, par-dessus le corps du Cerbère à triple gueule étendu sur le sol, et s’assure, en retournant la tête, que le monstre est sérieusement endormi. Cette figure, bien découpée, d’un mouvement hardi, facile et souple, bonne à voir sous toutes ses faces, lorsqu’elle sera coulée en bronze et en plein air, sera d’un excellent effet sur une promenade publique. L’Orphée de M. Peinte n’est pas un début, puisque M. Peinte a obtenu, en 1877, le prix du Salon ; mais c’est l’œuvre d’un homme dont la virilité parait devoir tenir les promesses données par sa jeunesse. M. Verlet doit être plus jeune. Sa figure, la Douleur d’Orphée, n’offre ni dans ses lignes la même aisance, ni dans ses formes la même souplesse que celle de M. Peinte. On y sent moins de liberté ; cependant, l’étude du modèle y est peut-être plus soutenue et plus précise. Ici, le pauvre Orphée vient de perdre, par son intempestif élan d’amour, tout le fruit de ses peines. Il a voulu revoir trop vite sa chère ressuscitée ; la douce revenante a de nouveau disparu. Il faut donc qu’il sorte de l’Adès au plus vite, qu’il en sorte seul, gémissant, désespéré ; c’est alors que l’a surpris M. Verlet, nu, descendant au hasard, d’un pas précipité et pesant, sur la pente rocheuse, la tête en arrière, les yeux éteints, agitant dans l’air vide