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sans sourire, elle se repose dans la tranquillité d’un triomphe naturel et facile. A ses pieds, sous son bras gauche, dans la peau du lion, se dresse un enfant maigre aux yeux bandés, le perfide Éros qui perd les héros. C’est une évocation singulièrement nette des traditions primitives ; l’empereur Hadrien, qui aimait fort, comme on sait, ces sortes d’inspirations rétrospectives, eut sans doute assuré à l’Omphale de M. Gérôme une place d’honneur dans sa villa de Tivoli, comme on la lui accorde au palais des Champs-Elysées.

L’exécution, souple et vive, mais sans mollesses et sans fadeurs, de ce beau marbre, en accentue encore le caractère résolu. Si le corps, noble et bien pris dans sa maigreur presque masculine, donne l’idée d’une vigueur agile, la tête, petite, un peu penchée, d’une expression paisiblement dominatrice, donne l’idée d’une volonté doucement implacable. Toute la coquetterie de la femme qui veut séduire s’est concentrée dans l’arrangement de cette tête. La régularité des petites tresses frisées qui descendent sur le front pour le rétrécir, le soin avec lequel les cheveux, sur la nuque, sont enfermés dans le bandeau de métal, et, sur le haut de la tête, retenus par une fine guirlande de feuilles de myrte surmontée d’une aigrette de feuilles de chêne, tout y trahit la science de la courtisane qui a préparé patiemment ses armes ; sa chevelure, ainsi disposée, lui forme une façon de casque étrange qui donne à sa beauté un air très belliqueux. Les peintures des vases grecs ont pu fournir à M. Gérôme tous ces détails piquans ; il en s su tirer parti, cette fois, non-seulement avec l’ingéniosité d’un érudit qui veut amuser des amateurs, mais avec l’enthousiasme poétique d’un sculpteur qui veut émouvoir des artistes. Rien de mieux fait que la statue de M. Gérôme pour montrer ce qui peut manquer encore à M. Cormon en fait d’esprit hellénique ; il est vrai que M. Gérôme n’est pas un Grec d’hier et qu’il vit depuis longtemps avec les vieux Hellènes comme avec les Orientaux contemporains. Il a commencé par se divertir avec eux, mais il a, de cette façon, lentement, par un commerce assidu, appris à les bien connaître ; aujourd’hui, nous en avons la preuve par l’Omphale, son rêve agrandi peut vivre sans effort dans le monde antique avec une liberté puissante qui nous promet d’autres œuvres originales.

La Circé de M. Delaplanche, autre beauté perverse et sans remords, ne s’inquiète pas autant de rappeler ses origines homériques. Antique par la façon superbe et naïve avec laquelle elle étale la splendeur solide et délicate de son torse nu, elle est moderne par l’expression victorieusement impertinente de son attitude cambrée, le geste insolent de son bras gauche arrondi sur sa hanche et celui de sa main droite tenant la baguette magique enguirlandée