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la vanité de l’Europe sur la mappemonde au prochain siècle. Ceci n’est point un roman d’imagination, c’est l’état auquel nous arriverons fatalement, avec une certitude mathématique, à moins d’un cataclysme géologique ; et nous y arriverons dans quarante ou cinquante ans, — les enfans d’aujourd’hui le verront.

Que deviendra l’église catholique, dans cette rénovation de l’univers ? Il semble qu’énoncer le problème, c’est le résoudre, puisque les deux géans, maîtres de l’avenir, sont séparés de la communion de cette église. On aurait tort, cependant, de conclure aussi vite. Nous avons déjà constaté les progrès considérables du catholicisme dans le nouveau-monde anglo-saxon ; il n’y trouve aucune tradition gênante, aucune haine séculaire, religieuse ou nationale ; il s’y détache sur les sectes émiettées comme un monument de granit sur le sable ; sa force d’attraction est incalculable, au milieu de ces âmes toujours en mouvement, promptes à changer de symbole, très sensibles aux courans mystiques. D’autre part, la Russie est travaillée par une angoisse religieuse que j’ai bien souvent signalée ; là aussi, les sectes pullulent, beaucoup de consciences étouffent dans le formulaire matériel de la dévotion byzantine. Si la cour de Rome persiste dans la voie intelligente où des conseillers malavisés s’efforcent en ce moment de l’arrêter, si elle rend aux Slaves catholiques leur liturgie nationale, le rapprochement ébauché en 1439 entre les deux grandes communions chrétiennes pourra être tenté de nouveau ; il est difficile, je le reconnais, il n’est pas absolument chimérique. Cette question de liturgie jouera le rôle principal dans le succès de l’action romaine sur le monde slave, elle se posera peut-être dans le monde anglo-saxon ; on se refuse à croire que pour reconquérir ces deux grandes races, Rome hésite à leur faire des concessions qu’elle accorde sans difficulté aux petits groupes arabes, coptes, arméniens. — Quoi qu’il en soit, l’église va rencontrer, au seuil du siècle qui vient, la plus solennelle épreuve de sa pérennité. La portion du monde qu’elle avait façonnée se dérobera sous elle, des mondes de création étrangère s’empareront de l’histoire ; l’église va engager avec eux, sous les yeux de nos fils, la partie la plus grandiose qui puisse être offerte à l’admiration des hommes. Il faut souhaiter qu’elle gagne, la vénérable mère de la civilisation, parfois un peu lente à suivre les témérités de son enfant, mais au demeurant la meilleure éducatrice et la plus sûre amie de cet enfant. Elle ne pourra gagner une partie aussi disproportionnée qu’en devenant de plus en plus catholique, « selon tous, » de plus en plus démocratique, comme les peuples auxquels elle s’adressera. — Que signifieront, pour ces peuples lointains, la nationalité italienne d’une fraction de la prélature, la politique italienne du saint-siège ? Que représentera pour eux la possession de