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avantages, dans une lutte en apparence si inégale. Il est dans la dépendance matérielle de son adversaire, mais ce dernier est dans sa dépendance morale. Le pape embarrasse également cet adversaire par l’attaque ouverte, par l’inertie, par les avances paternelles. Léon XIII emploie tour à tour ces armes avec une habileté consommée, et chaque jour fortifie sa position défensive. Telle est du moins l’opinion des esprits réfléchis dans le camp italien ; c’est uniquement sur leurs aveux que j’ai voulu fonder mes dires, pour cette partie de mon exposé. Le pape désagrège lentement les forces de l’ennemi sur le terrain électoral. Il se garde bien de lever officiellement l’interdiction du vote, signifiée aux catholiques par son prédécesseur ; les votes catholiques, ce sont des munitions douteuses, mais d’un grand effet moral, qu’il tient en réserve comme une menace ; dans la pratique quotidienne, ces munitions sont prêtées à tous les alliés dont on peut attendre quelque service. On sait quelle est l’influence du clergé sur les populations rurales dans la péninsule. Ce clergé n’est jamais encouragé à susciter des candidatures d’opposition déclarée ; mais presque partout les candidats de toutes nuances ont besoin de son appui ; et cet appui se paie par des accommodemens, par une modération relative vis-à-vis du chef de l’église.

Ce n’est point d’ailleurs dans la composition du parlement que cette action du clergé se fait le plus vivement sentir ; bien qu’on ait vu arriver naguère à Rome un député des Calabres, porté par une fort belle majorité « cléricale, » avec un programme de conciliation entre le saint-siège et le royaume ; et, chose piquante, ce député est un ancien garibaldien. C’est sur les élections des municipalités provinciales que se concentre jusqu’ici l’effort de l’église. Les « municipes » représentent, au point de vue qui nous occupe, les tendances les plus conciliantes. Ce serait trop de dire qu’ils sont acquis aux intérêts du souverain pontife ; mais l’esprit provincial est hostile à toute nouvelle entreprise contre ce pontife, et désire qu’on lui fasse la vie plus douce. Cette réaction favorable est très compréhensible. Après la chaleur du combat et la victoire définitive, le peuple italien s’est retrouvé avec ses traditions séculaires ; il a eu un retour de tendresse pour une institution désormais inoffensive et dont on ne se rappelle plus que les bons côtés. Si les Romains proprement dits sont encore animés de quelque défiance envers leur ancien maître, c’est plutôt le sentiment contraire qu’on trouverait à Tarin, à Florence, à Naples, dans ces villes décapitées et mal consolées de l’être. Les serviteurs du royaume ajoutent, avec raison sans doute, qu’il ne faut pas s’exagérer l’efficacité d’un courant de réaction encore très platonique ; mais ils en avouent l’existence, et c’est beaucoup. Ce courant portera peut-être un jour