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ne puis que me louer de tout ce qui a combattu sous mes yeux. J’espère qu’ils n’ont pas été mécontens de moi, ni de mon fils, qui ne m’a pas paru avoir eu peur[1]. » La lettre du dauphin, au contraire (qui n’est que du lendemain) respire l’ardeur juvénile et la piété filiale :


« Ma chère maman,

« Je ne puis vous exprimer ma joie de la victoire de Fontenoy, que le roi vient de remporter. Il s’y est montré véritablement roi dans tous les momens, mais surtout dans celui où la victoire ne semblait pas devoir pencher de son côté ; car alors, sans s’ébranler du trouble où il voyait tout le monde, il donnait lui-même des ordres les plus sages avec une présence d’esprit que tout le monde n’a pu s’empêcher d’admirer ; il s’y est fait connaître plus que partout ailleurs… C’est un ouvrage de la main de Dieu à qui seul on doit la victoire[2]. »

Faut-il s’étonner qu’en recevant ces lettres du père et du fils, et en envoyant sa réponse à d’Argenson, la pauvre reine y ait joint ces touchantes paroles : « Je vous envoie une lettre pour mon fils. Qu’en pensez-vous à présent ? Et quand avec fort peu de modestie je vous disais qu’il était charmant, avais-je tort ? Vous me connaissez aussi. Vous ne serez point surpris du sentiment dont je vous fais part. Je suis plus flattée d’être la femme du roi et la mère de mon fils que d’être la reine. N’en dites jamais mot : mais j’aime le premier à la folie[3]. »

Voici maintenant le maréchal de Saxe. C’est le ton d’un commandant qui a tenu entre ses mains, sans trembler, les destinées de l’état et du roi. — « Mon cher chevalier, écrit-il à son ami Folard, la renommée, cette prompte courrière, vous aura déjà informé que nous ayons remporté une victoire entière, le 11 de ce mois, sur le duc de Cumberland et l’armée alliée. Je vous envoie le récit que j’en ai fait au contrôleur-général, qui est mon ami. Je crois que cet échec va rabattre un peu le caquet de la fierté anglaise. Une grande partie de leur infanterie a péri, et j’espère en être défait au moins pour une partie de la campagne… L’affaire a duré neuf heures, et, quoique je sois mourant, j’ai soutenu cette fatigue comme si je me portais bien. Le roi et son fils unique ont absolument voulu y être, de l’autre côté d’une.rivière et presque sans retraite ; mais la

  1. Cette lettre fait partie d’une collection très curieuse de lettres autographes de Louis XV au comte de Coigny qui existe en Angleterre entre les mains de Mme la comtesse de Manvers, fille du dernier duc de Coigny, qui a bien voulu me les communiquer.
  2. Journal de Luynes, t. VI, p. 140-141.
  3. Mémoires et Journal de d’Argenson, édition Jannet, 1838, t. IV, p. 402.