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une surprise et y faire une trouée dont l’effet serait décisif ? Fut-ce Richelieu lui-même, qui n’a pas manqué de s’attribuer à lui seul l’honneur de ce qu’il a appelé l’invention d’une botte secrète, et qui a même affirmé que, pour ordonner le déplacement des pièces de canon signalées, il lui avait fallu décider le roi, non sans peine, à violer la consigne contraire du maréchal de Saxe ? Fut-ce, comme d’autres récits le disent, un simple capitaine du régiment de Toulouse, portant le nom obscur d’Isnard ? J’avoue que j’attache peu d’importance à cette guerre de noms propres : l’idée, après tout, était assez simple pour venir à plus d’un esprit à la fois. Et, d’ailleurs, ne sait-on pas que, dans les foules françaises, avec la vivacité de conception qui leur est propre, règne souvent un courant électrique qui fait que la même pensée semble jaillir à la fois de tous les cerveaux ? Ce qui est certain, c’est que le roi se décida sans peine à sacrifier toutes les précautions qui n’intéressaient que lui-même, et, à ceux qui lui faisaient observer que les canons lui feraient faute en cas de retraite : « Il ne s’agit pas de se retirer, répondit-il, il s’agit de vaincre. » Il commanda au duc de Picquigny de faire avancer les canons, et le duc de Richelieu eut l’ordre de les faire suivre par les escadrons de la maison du roi, qui n’avaient pas encore bougé du poste de garde qui leur était confié. Un frémissement généreux parcourut alors tous les rangs ; parmi ceux qui lâchaient pied tout à l’heure, ce fut un élan général pour retourner au combat. Il serait vain de chercher qui en donna le signal : ce n’était personne, jusqu’à ce que ce fût tout le monde.

Au même instant, chez les Anglais, c’était un effet contraire qui se produisait : le trouble et l’incertitude paraissaient se glisser dans leurs rangs. — « Je jetai les yeux sur la colonne, dit un humble témoin, d’autant plus véridique que, ne commandant rien, il avait le temps de tout regarder. Elle restait sans mouvement au milieu de la plaine ; on aurait dit qu’elle n’était conduite par personne. » — La vérité est que Cumberland, surpris lui-même de son succès, hésitait à frapper le dernier coup qui le lui aurait assuré, de crainte de le compromettre en ébranlant cette solide cohésion de sa troupe, à laquelle il devait ce résultat inespéré. Frédéric, raisonnant après coup dans l’Histoire de mon temps, critique assez sévèrement cette timidité tardive. — « Puisqu’il avait, dit ce grand maître, ouvert le centre de l’armée française, il lui était aisé de séparer sa troupe en deux, et, par un à droite et un à gauche, de prendre en flanc toute l’infanterie française qui lui était opposée ; il aurait, en même temps, fait avancer sa cavalerie pour soutenir ses colonnes ainsi divisées, et il est probable que c’aurait été fait de l’armée française s’il avait agi ainsi. » — Avec tout le