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de la situation, Maurice aurait voulu mettre en sûreté la personne des princes, très dangereusement exposés maintenant sur l’éminence d’où ils attiraient tous les regards. Il fit supplier le roi de se retirer de l’autre côté du pont de Calonne, qu’on aurait brûlé derrière, lui ; il l’assurait en même temps que rien n’était désespéré et qu’il saurait pourvoir à tout. — « Je ne doute pas, répondit le roi, qu’il fasse ce qu’il faudra, mais je reste où je suis. »

Le maréchal n’insista pas et, montant cette fois à cheval lui-même, il donna le signal, et la cavalerie s’ébranla. Son apparition (il fallait s’y attendre) ne fit au premier moment qu’accroître la confusion générale. Les escadrons s’avançaient à toute vitesse vers la colonne, mais là les chevaux, épouvantés de l’effroyable décharge qui les attendait, reculaient et ne pouvaient être ralliés qu’à cent pas de distance ; ceux qui avaient perdu leurs cavaliers, échappés et errans, portaient le désordre dans tous les rangs. Ce qui coula de sang généreux, ce qui périt de noble jeunesse dans ces vaines tentatives, on aurait peine à le dire. Il y eut des escadrons qui revinrent tout meurtris huit fois à la charge. Un seul, appartenant au régiment de Noailles et que commandait le marquis de Wignacourt, réussit à approcher tout à fait des lignes anglaises, mais pour être détruit tout entier, sauf quatorze hommes qui y pénétrèrent, dont dix furent faits prisonniers, et le marquis, percé de deux coups de baïonnette dans le ventre, resta sur la place. Cette suite de sacrifices humains ne se prolongea pas pendant moins de quatre heures. Pénétré d’admiration de tant de courage et de douleur de tant de pertes, on entendit le maréchal s’écrier : — « Se pourrait-il que des troupes si braves ne fussent pas victorieuses ? » — Le résultat qu’il cherchait, bien chèrement payé, fut pourtant en partie obtenu. Dans la mêlée générale, entre les cadavres d’hommes et de bêtes, au milieu des chevaux effarés ou abattus, la colonne anglaise s’embarrassa et se ralentit. Ce n’était encore qu’un médiocre avantage, car chaque minute qui s’écoulait, en retardant l’attaque, diminuait aussi la force de résistance. Les munitions commençaient à manquer dans les redoutes de Fontenoy et leur feu s’atténuait. Le succès final des Anglais paraissait encore si certain que, du haut des remparts de Tournay, d’où l’œil pouvait saisir l’ensemble des mouvemens, on poussait déjà des cris de triomphe, et toute la garnison s’apprêtait à s’élancer au-devant de ses libérateurs.

Le même spectacle était suivi avec une émotion pareille, et plus mêlée de trouble et d’angoisse, du lieu élevé où se trouvait le roi, et où Maurice, après avoir donné tous ses ordres pour le dernier et suprême effort qu’il préparait, était venu momentanément le rejoindre. Là, au milieu d’un tumulte inexprimable, se tenait, dit un