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voisinage, qui accoururent au bruit du canon. L’attaque n’ayant pas été prévue dans ces conditions, il n’y eut pas d’ensemble non plus ni de concert dans la manière de la recevoir. Les bataillons français arrivaient de droite et de gauche, par pelotons isolés, pour se voir successivement repoussés, restant séparés dans leur défaite sans pouvoir parvenir ni même cherchera se joindre. Vainement, leurs officiers supérieurs payaient de leur personne avec un héroïsme impuissant. Plusieurs, déjà blessés à l’assaut de Fontenoy, vinrent achever de mourir dans cette nouvelle lutte. L’histoire a conservé entre autres le nom du marquis de Lutteaux, qui, gravement atteint, fut averti que sa troupe était engagée, au moment où on lui posait un premier appareil, et s’échappa des mains qui le pansaient en s’écriant : — « Laissez-moi passer, le service du roi m’est plus cher que la vie. » — Mais la formidable colonne avançait toujours ; déjà elle avait dépassé le village de Fontenoy, et par un quart de conversion, elle pouvait le prendre à revers ; Cumberland allait se trouver maître, par ce prodigieux détour, de la position dominante qu’il avait essayé inutilement le matin d’emporter de front.

Rien n’était perdu cependant, tant que Fontenoy tenait et tirait encore ; car la colonne, malgré sa marche jusque-là victorieuse, restait toujours isolée, sans point d’appui et, à chaque pas même qu’elle faisait, plus à découvert dans la plaine, plus exposée par conséquent, en cas d’un retour offensif, à être coupée de sa retraite et enfermée dans le cercle même dont elle avait forcé l’entrée. C’est ce que Maurice, un instant surpris et alarmé, n’eut pas de peine à reconnaître, et son plan fut fait à l’instant. L’essentiel était de retarder ce qu’il ne pouvait tout de suite ni tout à fait arrêter, afin de se donner le temps de rallier et de ramener à la rescousse, par un assaut plus général et mieux combiné, ses régimens culbutés : coûte que coûte, il lui fallait gagner ce temps précieux. C’est à quoi pouvait lui servir utilement sa cavalerie, jusque-là restée presque tout entière immobile et encore intacte. À coup sûr, là où l’infanterie succombait, la cavalerie ne pouvait se promettre un meilleur succès. Mais ses escadrons, lancés sur le passage ou sur les flancs de la colonne, pouvaient former comme autant d’obstacles qui en gêneraient et en suspendraient peut-être le progrès. Plus d’un sans doute y périrait ; mais de quelques heures sauvées par ce douloureux sacrifice dépendait le sort de la journée[1].

Avant de s’y résoudre pourtant, ne méconnaissant aucun des périls

  1. D’Espagnac, t. II, p. 74. C’est l’explication que donne ce confident de Maurice de ces charges répétées et meurtrières de la cavalerie, qui lui furent vivement reprochées.