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importante, et dont la prise était le premier objet de la campagne. Le plan fut exécuté avec rapidité et précision ; en quelques jours, les trois corps eurent pris position sur les deux rives de l’Escaut, l’un au-dessous de Tournay, sur la rive gauche, les deux autres au-dessus, sur la rive droite ; des ponts furent établis de part et d’autre pour assurer les communications, et, dès le 30 avril, l’investissement était presque achevé et la tranchée déjà ouverte, avant que le gouverneur de la ville fût de retour de Bruxelles, où, à peine averti du dessein des Français, il était allé en donner avis aux commandans des forces alliées coalisées contre nous.

On était loin, dans le camp ennemi, de s’attendre à être attaqué si vigoureusement et pris de si court. On s’y livrait, au contraire, sans contrainte, à la plus absolue, à la plus aveugle confiance. C’était le mot d’ordre venu de toutes les capitales de l’alliance, de Londres comme de Vienne et de La Haye. Depuis le coup de théâtre de la soumission de la Bavière, suivi des plaintes désespérées de Frédéric abandonné ; depuis qu’on avait vu la France se laisser enlever sans combat ce terrain de l’Allemagne, si chèrement disputé par elle pendant trois années, au lieu d’expliquer cette triste résignation par un changement d’humeur naturel à l’instabilité de notre caractère national, on se plaisait à y lire un aveu publiquement constaté d’impuissance. Pour se laisser réduire à une si cruelle extrémité, il fallait, disait-on, que cette orgueilleuse nation fût à bout de vivres et de ressources, et si, faute de pouvoir étendre son bras plus loin, elle tentait encore une dernière lutte à sa porte et sur sa frontière, sa force, désormais brisée, allait expirer dans ce suprême effort. C’est en Angleterre surtout que cet abattement et cet abaissement présumés de la puissance française étaient admis comme fait acquis, avec une crédulité complaisante, et célébrés avec une exaltation présomptueuse. — « On répète ici, écrit à cette date même, le 7 mars, un correspondant français à Londres, que la France est hors d’état de se soutenir par elle-même, épuisée qu’elle est d’hommes et d’argent, inquiète dans son sein pour ses propres sujets ; elle sera dans peu réduite à demander avec soumission la paix et à en recevoir les conditions de la Grande-Bretagne et de ses alliés… On se flatte d’exercer désormais cette influence, qui ne peut être contre-balancée par aucune puissance. On a pour soi tous les électeurs, à l’exception du roi de Prusse ; les cercles et les autres princes de l’empire s’offrent d’eux-mêmes à l’Angleterre : elle fera un empereur à son gré… En un mot, l’Angleterre va devenir l’arbitre de l’Europe, lui donner des lois et parvenir à cette monarchie à laquelle la France aspirait depuis longtemps ; ceci est en substance la perspective actuelle des grands et