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temple, et je fais le même personnage qu’un athée dans une église. Ne m’oubliez pas, quoique je sois retiré du monde. » — Les correspondans de Voltaire savaient de reste, je pense, que Versailles n’était pas de toutes les églises celle dans laquelle il lui répugnait le plus d’entrer, et la divinité qu’on y adorait celle dont il refusait de reconnaître l’empire. Aussi ne durent-ils être que médiocrement émus de ces plaintes, d’autant plus que, comme toute peine mérite son salaire, Voltaire avait eu soin de s’assurer d’avance que la sienne ne resterait pas sans compensation. On lui avait promis la première place de gentilhomme de la chambre qui serait vacante. — « Mais, écrivait-il à d’Argenson, la charge de gentilhomme ordinaire ne vaquant presque jamais, et cet agrément n’étant qu’un agrément, on y peut ajouter la petite place d’historiographe,.. et, au lieu de la pension attachée à cette historiographie, je ne demande qu’un rétablissement de 400 livres ; tout cela me parait modeste, et M. Orry en juge de même. Il consent à toutes ces guenilles. »

Pourtant quand la représentation dut avoir lieu, devant un public de cour aussi brillant que bruyant, tout étincelant de parures et de diamans, la Princesse de Navarre (c’était le nom de la pièce objet de tant de soins) n’eut qu’un médiocre succès. On goûta fort la grâce des ballets et le charme de la musique, due au célèbre Rameau ; mais pour la comédie elle-même (était-ce une comédie ou un drame ? ), elle parut faiblement versifiée et se traînant avec longueur à travers une intrigue assez obscure. On faisait d’abord trop de bruit pour bien entendre. Voltaire lui-même, malgré les complimens de rigueur qu’il reçut, eut le sentiment qu’il était resté au-dessous de l’attente commune, car il écrivait assez tristement : — « Mon ouvrage est décent, il a plu sans être flatteur. Le roi m’en sait gré, les Mirepoix ne peuvent me nuire ; que me faut-il de plus ? Je ne me suis mêlé que de lui plaire. » — Effectivement, le roi tint parole : la place d’historiographe fut accordée pour faire prendre patience en attendant celle de gentilhomme de la chambre, et la guenille même fut doublée d’une étoffe plus solide qu’on ne l’avait espéré, car une pension de 2,000 livres, et non de 400 seulement, y fut attachée[1].

En relisant aujourd’hui ce morceau de poésie, qui présente effectivement peu d’intérêt, et dont le mérite devait consister dans des allusions qu’on ne saisit plus, on n’y trouve dignes d’être notés que ces vers du prologue, qui peignent assez bien les dispositions du noble et frivole auditoire qui l’écoutait :

  1. Voltaire à Cideville, à Thiriot et à d’Argenson, 31 janvier, 8 février et 7 mars 1745. (Correspondance générale.)