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gaucherie, de façon à n’abuser et à ne contenter personne, pas même ses amis. C’était le cabinet du radicalisme intermittent et des fluctuations, impuissant et menacé de tous côtés. Si malgré tout il a vécu cinq mois, c’est d’abord parce qu’il y a eu de fréquentes vacances parlementaires, qui sont toujours des trêves forcées, qui suppriment les occasions de conflits, et puis surtout c’est que dans l’intervalle se sont produits des incidens extérieurs assez sérieux, assez émouvans pour détourner un instant les esprits des querelles intérieures. Il y a eu une sorte d’armistice momentané qui a pu faire illusion, dont le gouvernement a profité sans en être plus fort, et le jour où les nuages extérieurs ont paru se dissiper, où le parlement est revenu après ses vacances de printemps, la lutte s’est trouvée immédiatement ouverte ; elle s’est engagée sur une simple affaire de finance, entre la commission du budget réclamant à outrance des économies, arrivant devant la chambre avec un manifeste aussi impérieux que vague, et le gouvernement se défendant de se jeter les yeux fermés dans des entreprises de réformes financières mal définies. Au fond, le gouvernement avait peut-être raison jusqu’à un certain point dans cette discussion du 17 mai, qui a été d’ailleurs assez molle, assez terne, probablement parce qu’on ne disait pas tout ; le ministère n’a pas moins succombé au premier choc, et il a péri, non par une raison spéciale, mais parce qu’il ne pouvait plus vivre, parce qu’il ne représentait rien, parce qu’il n’avait ni autorité ni crédit, ni une politique saisissable, ni une direction assurée. Il est mort des faiblesses de M. le président du conseil, de l’insuffisance de M. le ministre des finances, des témérités brouillonnes de M. le ministre de la guerre. En quelques heures, le dernier cabinet a été expédié, et ici s’ouvre une histoire nouvelle, l’histoire d’une crise qui a certes sa moralité, puisqu’elle dévoile les incohérences d’une situation où tout est devenu difficile.

Renverser un ministère qui se défend médiocrement par lui-même, qui ne représente rien, qui n’est qu’un amalgame de petites importances de parti, de vanités ou d’ambitions mal déguisées, c’est bientôt fait : un coup de scrutin suffit. La difficulté est de remplacer ce ministère, ou mieux encore, si on le peut, de refaire un gouvernement, et à voir les négociations, les combinaisons, les tentatives qui se sont succédé depuis près de quinze jours, le problème doit être assurément épineux et compliqué. En réalité, si l’on voulait agir sérieusement, même correctement, la première chose à faire était de se rendre compte des conditions dans lesquelles s’est produit le vote qui a décidé la chute du dernier cabinet. A examiner de près ce vote, il a une signification évidente, même une double signification. Il n’est point douteux qu’il y a aujourd’hui dans beaucoup d’esprits, parmi les républicains comme parmi les conservateurs, une préoccupation passionnée de l’ordre financier. On sent le besoin d’arrêter le torrent des dépenses,