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hier, aujourd’hui, sur le boulevard. Hier, marchant tout seul, il portait la moustache cirée comme sa botte, et relevée en croc : il était ridicule avec assez de grâce. Aujourd’hui, nouvel aspect ; il aura neigé sur sa tête cette nuit : le voici qui donne la main à son petit-fils ; il est digne avec simplicité. Sourire de lui, et lui sourire, pour les passans, c’est l’affaire de deux jours : il les égaie et les émeut doucement.

Est-ce pourtant sous Louis XIII que l’action est placée ? On aura l’avantage de costumes plus tranchés et de mœurs plus divertissantes. Jeune ou vieux, dameret ou sévère, M. Durand, sous M. Grévy, serait toujours vêtu à peu près du même drap sombre. Sylvain, marquis de Bois-Doré, peut s’habiller de satin rose, et puis quitter cet ajustement pour le velours noir. Et ce n’est pas seulement pour la coquetterie que l’époque est plus favorable, mais pour la galanterie : on peut faire un peu mieux les choses, si l’on est serviteur du beau sexe, au temps d’Honoré d’Urfé, qu’au temps de Schopenhauer. Boisdoré a donc entrepris de régler son langage, aussi bien que sa toilette, et ses façons et ses jardins même d’après les leçons de l’Astrée. Ce ne sont que bosquets bien taillés, autour du château de Briantes, comme sur les bords du Lignon. Le maître qui s’y promène semble Céladon en personne ; et son vieil intendant, surnommé Adamas, sait farder la vérité aussi délicatement qu’un visage. Comme son filleul, décoré du nom de Clindor, lui demande pourquoi il peinturlure les pommettes du marquis : « Pourquoi ? pourquoi ? répond-il… Eh ! précisément parce que certaines fausses apparences pouvant tromper les yeux sur sa jeunesse, il est juste qu’un peu d’art vienne réparer les mensonges de la nature. »

Tout cela est fort joli, et tout cela est humain. Sous la perruque bouclée à la mode de 1617, comme sous de rares cheveux teints par un procédé que nos journaux recommanderaient, ce qui provoque notre sympathie, c’est un éveil de sentimens. Sylvain de Bois-Doré, avant qu’il ait retrouve son neveu Mario, après qu’il l’a retrouvé, voilà notre homme, voilà un homme. Sans famille, — En famille, tel serait le sous-titre de cette comédie à demi pathétique, toute morale et conforme à la nature. Aussi bien, la première fois que la pièce fut représentée, quelle scène toucha le plus vivement les spectateurs ? C’est l’apparition de Bocage en cheveux blancs, la main sur l’épaule de Jane Essler. M. Dumaine, aujourd’hui, avec sa bonhomie puissante, n’a pas l’élégance ni la majesté de Bocage ; M. Segond-Weber, qui figure à merveille un garçonnet ardent, ne rayonne pas cependant du même feu que le premier Mario. Tant pis ! les applaudissemens éclatent. Notre amitié, depuis le commencement, n’est allée qu’à ces deux têtes : l’invisible partie engagée entre elles, voilà tout le drame qui nous attache.

Mais le reste, — mais la partie la plus considérable du sujet et la plus fertile en événemens, mais l’habile et vigoureuse intrigue, mais