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long récit, qui ne dut guère la fatiguer. Une suite d’aventures, en ces deux volumes, se développe avec aisance, — une épopée Louis XIII, dans le goût de Damas pore, inventée par une bonne-maman. L’aimable femme a encore l’imagination pimpante et la langue agile : cette histoire, où les occasions d’horreur ne manquent pas, est toujours gracieuse ; il dure plusieurs veillées, ce conte, et ne languit jamais ; jusqu’à la dernière, on ne saurait dire qu’il menace, mais plutôt qu’il promet, d’être interminable ; et, lorsqu’il a pris fin, les auditeurs ont l’esprit aussi frais, aussi léger qu’avant. C’est qu’il ne s’agit pas, pour la conteuse, de croire ni de faire croire tout de bon que ces événemens sont arrivés : le loup veut croquer le chevreau, le chevreau lui échappe : un gros chien se jette à la traverse ; à la fin, le loup est mangé ; — mais ce n’était pas un vrai loup, un vrai chevreau, un vrai chien : on aurait eu trop peur ! On ne voulait avoir peur qu’un tantinet, et seulement pour rire.

Ce roman ainsi conçu et mené à bien, est survenu M. Paul Meurice pour en tirer au drame. Il a pris le premier volume, qui formait, à lui seul, une fable complète ; il l’a, non sans adresse, accommodé pour la scène. M. Paul Meurice ! il suffit de le nommer : on sait de quelle sorte de héros il est un épigone ; à cette matière, que lui abandonnait George Sand, il ne pouvait qu’appliquer la formule inventée naïvement, vers 1830, par les grands chefs. Voilà donc un roman du genre le plus romanesque, apparu lorsque ce genre touchait à sa fin, et le voilà modifié pour le théâtre par un des derniers romantiques : on ne s’attend pas, en cette occurrence, à une débauche de naturel et de vérité ; on ne sera guère exigeant sur ce chapitre.

Eh bien ! il se trouve un semblant de caractère humain, une parcelle de vraie dans ce gentil mélodrame ; et c’est justement, à l’heure présente, ce qui sauve le reste. Un galant homme, — appelez-le Sylvain de Bois-Doré ou M. Durand, placez-le sous le règne de Louis XIII ou de M. Grévy, peu importe, — un galant homme a vieilli seul, ou plutôt, vivant seul, il n’a pas voulu vieillir. Il n’a pas de fils, pas de neveux auprès de lui, dont la croissance lui prouve sa décrépitude : il prétend donc rester jeune, il s’habille à soixante-treize ans comme un élégant de vingt-cinq ; il se teint les cheveux et la moustache ; il se farde les joues. Il fait profession d’avoir le cœur aussi fleuri que la figure : il l’offre à toutes les dames, il va le donner à une jeune fille. Mais un enfant, par un hasard quelconque, entre dans sa maison ; peu à peu, le bonhomme éprouve des sentimens plus convenables a son état réel dans la vie. Un jour, il trouve que cet orphelin est le fils de son frère cadet : et ce jour-là, par un miracle naturel, il vieillit d’un demi-siècle, en devenant père, ou plutôt grand-père, il prend tout à coup son âge. N’est-ce pas une histoire assez vraisemblable ? Ce vieux beau, qui devient un bon vieux, nous avons pu le rencontrer