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indignation. Cette loi offre libéralement aux professeurs titulaires de la faculté de médecine de Paris, comme le grade le plus élevé auquel ils puissent prétendre, celui de médecin-major de deuxième classe et le rang de capitaine ; la loi allemande donne à nos collègues le grade et le titre de chirurgien-général. Voilà ce qu’on appelle organiser les services de l’armée !

Quand on voit le conseil de santé édicter, ou du moins accepter de pareilles choses[1], on est en droit de dire à nos confrères de l’armée : Pendant vingt ans, nous avons lutté pour vous émanciper du joug de l’intendance, parce que votre subordination, en stérilisant tous vos efforts, était contraire à l’intérêt de l’armée, au salut de nos soldats. Personnellement, je n’ai jamais oublié que j’avais été des vôtres au début de ma carrière, et par mon livre sur la Chirurgie militaire, par mes articles dans cette Revue et dans d’autres, j’ai lutté pour votre indépendance. J’ai eu, vous l’avez reconnu, une grande part dans le succès de cette campagne ; cela me donne le droit de vous dire, aujourd’hui que vous êtes libres. Vous voulez vous servir de votre liberté pour faire peser sur vos confrères civils un joug plus lourd encore que celui que l’intendance faisait peser sur vous, car il est plus préjudiciable au salut des malades et des blessés. Cela ne doit pas être, cela ne sera pas ! Cuique suum. A chacun suivant son mérite, à chacun suivant sa valeur personnelle. Ce sont nos fils qui constituent l’armée. En donnant leur vie, leur sang à la patrie, ils ne font que leur devoir ; mais nous voulons que ceux qui seront appelés à les soigner, en cas de maladie ou de blessures, soient les plus capables ; peu nous importe qu’ils soient civils ou militaires. En médecine, ce n’est pas le port permanent d’un pantalon rouge qui fait le talent et l’expérience.

Il ne faut pas que les gens du monde, ignorant l’état vrai des choses, se laissent prendre à cet argument que, le médecin militaire, en sa qualité de militaire, connaissant mieux les blessures par armes de guerre que le médecin civil, il est logique, il est naturel de lui donner la direction du traitement. Il est facile de montrer à quel point cet argument est faux. Dix-sept ans se sont passés depuis la fin de la guerre ; par conséquent, les médecins militaires, entrés au corps depuis cette époque, n’ont pas plus d’expérience sur ce point que les médecins civils. Je vais plus loin, j’ajoute qu’ils en ont moins, et il est facile de le montrer. En temps de paix, les plaies par armes à feu ne résultent guère que de crimes ou de suicides ; crimes et suicides sont absolument exceptionnels

  1. Il est juste de dire qu’on nous affirme que le conseil de santé n’a pas été consulté sur le projet de loi.