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impression. Aujourd’hui, la cause paraît gagnée, et ce n’est pas sans une profonde satisfaction que nous croyons reconnaître, chez la plupart d’entre eux, un retour marqué aux analyses exactes, au choix judicieux des motifs, à la liberté expressive de l’arrangement. De simples études sur nature, comme celles de MM. Jan-Monchablon et Binet, sont parfois poussées, avec une précision patiente, jusqu’à une exactitude si rigoureuse qu’on y retrouve l’accent même de la réalité ; et la plupart de leurs confrères ne s’en tiennent pas là. Ils interprètent les sites naturels, suivant leur tempérament propre, avec une liberté prudente qui donne un accent plus pénétrant et plus vif à leur amour de la vérité. C’est parce que MM. Vollon, Busson, Lansyer, Nozal, Desbrosses, Montenard, Guillon, Girard, Billotte, Hareux, entre cent autres, voient d’une façon particulière et qu’ils insistent franchement sur leurs façons de voir qu’ils donnent à leurs paysages un charme plus original et plus puissant.

Ce sont donc, en réalité, les paysagistes qui vivent le plus tranquilles au milieu de l’orage qu’ils ont déchaîné, et cela est bien naturel. Le travail en plein air, l’observation des réalités, l’analyse des lumières, c’est la vie même du paysagiste, et son éducation ne se peut guère faire autrement. Il n’en est pas de même pour les peintres de figures, qui doivent ajouter à ces impressions extérieures de longues études préparatoires de dessin et de composition. Tout ce qui peut altérer chez ces derniers les habitudes de recueillement et l’effort de la volonté serait donc pour eux une cause d’affaiblissement rapide. Le courant de plus en plus visible qui entraîne les artistes vers les représentations réelles et vers les effets naturels ne les mènera à bon port que s’ils s’y embarquent sans précipitation, avec la résolution de ne s’y point fier aveuglément. Autant il serait sot de fermer ses voiles au bon vent qui se lève, autant il serait imprudent de laisser à terre son gouvernail. Le bon vent qui souffle en ce moment, c’est l’amour de la vérité et de la lumière ; le gouvernail qu’il ne faut pas lâcher, c’est la tradition, c’est-à-dire l’expérience.


GEORGE LAFENESTRE.