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superficiellement ; dans un milieu où tout est solide, la peinture est molle ; les muscles saillans de ces Cyclopes, qui devraient être en fer, ne sont qu’en coton. Là, comme ailleurs, ce n’est pas la science qui a manqué, car on connaît de M. Rixens des morceaux très fermes, c’est le temps et c’est la patience. Un effort en sens inverse, un effort viril a été fait par Mme Virginie Demont-Breton, dans sa scène de boulangerie, le Pain. Bien que la scène, suivant le livret, se passe en Dauphiné, l’artiste a voulu, de toute évidence, la généraliser en l’ennoblissant ; le boulanger, sa femme, ses enfans sont taillés et musclés comme une famille de héros antiques ; il n’y a que le four qui reste moderne ; peut-être eût-il dû s’ennoblir à son tour. L’ensemble y eût gagné. La science académique de Mme Demont nous semble mieux à sa place dans sa Danse enfantine, où l’on voit une faunesse faisant jouer ses enfans. C’est moins, ce nous semble, par l’introduction d’un idéal étranger dans la vie moderne qu’on en peut faire jaillir la haute signification que par l’approfondissement patient et sympathique des grandeurs intimes de cette vie.

M. Fourié, à ce sujet, a développé des convictions qu’on pourrait taxer de colossales. Il ne demande aucun conseil aux Grecs pour peindre, dans sa Noce à Yport, des paysans et des paysannes de Normandie et pour leur donner des proportions presque surnaturelles ; il s’adresse seulement à Flaubert en pensant un peu à Paul de Kock. La scène est, comme on dit, prise sur nature. Sous les pommiers verts d’un grand verger, par un beau soleil d’été, la longue table fait briller, sous le remuement des branches, les victuailles, les faïences, les verreries accumulées sur la nappe éclatante. A droite, à la place d’honneur, la mariée, demi-bourgeoise, fraîche et haute en couleur dans sa parure blanche, reçoit les complimens d’un gros homme, en manches de chemise, qui s’est approché d’elle, par derrière, et choque son verre contre le sien en s’essuyant la bouche, du coin de sa serviette, avec un sourire malin. Aux deux côtés de la table sont assis, rubiconds et s’empiffrant, une dizaine de campagnards et campagnardes endimanchés, les femmes en cheveux ou en bonnets blancs, les hommes tête nue, coiffés de chapeaux melons ou de casquettes, tous éclatant d’une grosse joie. Scène à la Bovary, mais que Flaubert n’eût pas décrite du même langage ample et puissant dont il se servait pour décrire Carthage. Ces Normands, si normands qu’ils soient, ont une taille disproportionnée à leurs fonctions. La franchise imperturbable avec laquelle M. Fourié a précisé ces physionomies amusantes, la verve réjouissante avec laquelle il a illuminé tous ces visages rougeauds et ces toilettes hasardeuses de coups de soleil brillant et chaud, n’eussent pas été moins