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qu’il le devait, servi le dessinateur ? Les indications linéaires de ses grandes figures sont excellentes, les modelés extérieurs en sont soigneusement cherchés, mais la peinture s’y émiette et s’y détaille en une multiplicité de touches minces et sèches si bien que cette page, d’une inspiration majestueuse, prend presque l’aspect d’un travail minutieux au petit point. Entre la forme et le fond, entre la pensée et le rendu, il y a une contradiction que M. Lhermitte évite d’ordinaire dans ses fusains.

Si M. Roll déterminait la structure des corps et faisait agir leurs ressorts avec la même liberté que M. Lhermitte, il serait, de tous les naturalistes, le plus capable aujourd’hui de chanter l’épopée moderne des travaux, des souffrances, des joies populaires. Il apporte, dans ses peintures de la vie commune, un sens naturel et profond de l’unité expressive, un goût foncier pour la vigueur et pour la franchise, qui ont, de bonne heure, donné à ses tentatives une assez haute portée. La fermeté de sa conviction est évidente ; personne ne représente chez nous, avec une sympathie si forte et si simple, avec moins d’emphase et moins de fausse sentimentalité, les types plébéiens dans toute la sincérité de leur force et de leur inconscience. Ses succès se sont trouvés parfois compromis, soit par la dimension excessive de ses toiles, soit par une certaine pesanteur terne d’exécution dont il ne s’est jusqu’à présent tout à fait débarrassé que dans ses études de paysages, d’animaux ou de figures en plein air. Son tableau de la Guerre ; marche en avant, le plus puissant de ceux qu’il ait encore peints, n’échappe pas complètement à ce dernier reproche, notamment dans les figures de premier plan. Si justes que soient leurs mouvemens, le tambour qui trébuche à gauche dans les terres labourées en battant sa caisse, le soldat qui s’accroupit devant la boite d’optique pour allumer sa lampe, tout le groupe des troupiers qui s’élancent de la droite pour traverser la route, eussent singulièrement gagné à laisser deviner sous leurs vêtemens opaques et plats des reliefs plus fermes et des corps plus vivans. Cette simplification excessive des modelés, qu’on peut accepter dans une composition murale et décorative, où les effets en trompe-l’œil d’une perspective linéaire et aérienne trop exacte doivent être souvent évités, ne se comprend plus dans une peinture mouvementée et vivante où cette perspective joue précisément le rôle le plus important. Ces trois ou quatre figures brusquement plaquées, qui semblent manquer d’air dans une peinture pleine d’air, nuisent beaucoup, pour les yeux des passans rapides, à l’effet général de la composition, qui, à partir du second plan, devient pourtant grandiose et presque héroïque. Toute la cohue de troupiers, vus de dos, qui marche péniblement, sur une route