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dans ses combinaisons subtiles et exquises de colorations imaginaires, il lui en fasse parfois une si restreinte dans l’expression sensuelle de ses figures ? La dame couchée, les yeux clos, la poitrine haletante, dans un fouillis de chiffons et de fleurs, qui se pâme Dans ses rêves, est au moins égale, pour la qualité de l’exécution, à la célèbre étude du musée du Luxembourg ; c’est certainement une figure poétique, mais d’une poésie qui s’inspire plus chez Dorat et Parny que chez Virgile ou Lamartine.

On peut donner pourtant, sans affectation, par la seule délicatesse-de la sensation personnelle, une expression pure et presque élevée au sujet le plus vulgaire. Nous en avons la preuve dans le tableau de M. Dantan, Un moulage sur nature. Il s’agit d’une jeune femme nue, posée de face sur un socle, sous un jour vif et cru, dans un-atelier de sculpteurs dont les murs blancs sont couverts de moulages blancs. On vient de mouler sa jambe. Deux ouvriers, en blouses blanches, sont en train de retirer, en deux morceaux, la couche de plâtre qui enveloppait son pied et son mollet. Il n’est guère de sujet plus réaliste, compris d’une façon plus conforme aux théories les plus radicales de l’école du plein air. La simplicité délicate avec laquelle M. Dantan l’a traité en a fait une œuvre d’une impression charmante et presque une, œuvre supérieure. Tout le monde, ouvriers et modèle, est si naturellement à sa besogne dans cet atelier paisible ; la jolie fille, aux chairs frissonnantes, rougit si simplement, doucement satisfaite en voyant sa jambe sortir de cette enveloppe pesante ; une lumière si douce, si pure, si calme, enveloppe et fond dans une harmonie si pénétrante toutes les notes de cette symphonie blanche, qu’on éprouve, devant cette toile de modeste taille, une sorte d’apaisement heureux. La beauté, fraîche et naïve, de la jeune femme, dans cette atmosphère recueillie, devient presque une apparition poétique, comme le fut sans doute le modèle vivant pour l’imagination chastement émue de l’artiste.

Si un peintre de genre, dans une scène d’atelier, peut dégager, d’un simple modèle, une expression de beauté, pourquoi les peintres de figures mythologiques ou poétiques, beaucoup plus libres vis-à-vis de la réalité, ne seraient-ils pas tenus d’en faire autant ? Plusieurs l’ont cherché sans doute, et ce ne sont pas des études vulgaires que celles de MM. Feyen-Perrin, Benner, Fouace, Barré, Mayet, Callot. La femme qui dort sur un gazon, par M. Franck Lami, est, dans quelques parties, d’une exécution charmante. Les figures décoratives de MM. Mazerolle, Lafon, Weiz, Lionel Rover, Blanchard marquent des recherches de style plus élevées ; ce sont des œuvres consciencieuses et intéressantes. Le Brumaire de M. Berton, où l’on