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Tous les progrès accomplis par les puissances étrangères, elle les a réalisés et même dépassés ; toute l’avance qu’elles avaient prise, elle l’a rattrapée. Son matériel, autrefois si lourd et si peu fait pour seconder la bravoure française, est maintenant le plus léger du monde. Et il compte plus de dix mille bouches à feu, dont les deux tiers au moins disponibles en cas de guerre. Peut-être son personnel entretenu n’est-il pas assez nombreux ; il ne permettrait pas de se conformer à la proportion de quatre pièces par mille hommes, adoptée depuis la guerre de sept ans ; mais il pourrait être doublé du jour au lendemain par la mise en activité des régimens provinciaux. Quant à son corps d’officiers, citer les noms des célèbres écoles d’où il sort, c’est dire qu’il n’a pas son pareil en Europe pour la science et pour les talens[1]. Strasbourg, Metz, Grenoble, Besançon, La Fère, Toul, Auxonne, autant de foyers d’instruction autour desquels se presse une jeunesse ardente, stimulée par les perspectives désormais ouvertes à son ambition, et que la gloire attend.


V. — LE GÉNIE.

Le génie, lui, n’avait jamais dégénéré ; dans les plus mauvais jours, alors que tout se dissolvait et se désagrégeait, il était demeuré pour l’Europe un objet d’envie. Les dernières guerres, celle de Flandre surtout, loin d’affaiblir la réputation qu’il s’était acquise sous Vauban, avaient achevé de la porter à son comble. Depuis, même, il avait encore fait des progrès. « L’art du génie, dit Guibert dans sa Défense du système de guerre moderne, vient d’être lumineusement perfectionné par M. de Ruggy. Cet habile officier, qui dirige notre école de mineurs établie à Verdun, a fait une révolution dans cette science. Elle était, autrefois, plus favorable à l’attaquant qu’à l’attaqué. Il l’a rendue aujourd’hui plus

  1. Pas même en Prusse, où la composition des cadres laissait fort à désirer pour les raisons suivantes que j’emprunte à Mirabeau (Système militaire de la Prusse) : « 1° Frédéric II ne faisait pas assez de cas du corps et lui montrait peu de considération. Il n’accordait que très rarement l’ordre du Mérite à un officier d’artillerie. Le major d’Anhalt, qui a commandé l’artillerie à cheval, est le seul qui l’ait eu depuis la mort du général Holtzendorf et du colonel Merkaetz. Cependant, le roi le donnait souvent même aux officiers subalternes des autres armes. Son mot est bien connu : « Qu’est-ce donc que ces gens-là ont de recommandable ! Est-ce si difficile de tirer juste ? » 2° Il n’y avait point de véritable école d’artillerie en Prusse. L’artillerie exige une étude théorique que ne reçoivent pas les officiers. Ils sont ignorans. Dans la guerre de 1778, le duc de Brunswick voulut mettre le feu à un village où s’étaient retranchés les Croates. Jamais l’officier d’artillerie, qu’il fit avancer pour cela avec un obusier, n’y parvint ; toutes ses grenades tombaient en-deçà ou au-delà du but. »