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1776, après la mort de Vallière fils, qu’il réussit à imposer ses idées et qu’il eut tout pouvoir pour les appliquer. Saluons cette date, car c’est une des plus importantes qui soit dans notre histoire militaire, et inclinons-nous devant le souvenir qu’elle évêque, car c’est celui d’un des plus grands serviteurs de ce pays. D’autres ont brillé d’un plus vif éclat dans l’art militaire ; aucun, si ce n’est Vauban, n’a laissé une œuvre comparable à celle de Gribeauval. A l’un la gloire d’avoir entouré la France de la triple ceinture de forteresses qui l’avaient faite invulnérable ; à celui-ci l’inappréciable honneur d’avoir, par des inventions de génie, préparé les prodigieux succès de la république et de l’empire !

L’idée mère de Gribeauval était, comme toutes les grandes idées, d’une extrême simplicité : créer un matériel d’artillerie distinct pour chacun des services de campagne, de siège, de place et de côte, et l’adapter à sa destination particulière, tout son système tient en ces quelques mots. Cela nous paraît élémentaire aujourd’hui, et l’on s’étonne qu’il ait fallu tant d’efforts et de temps pour en venir à cette formule. Mais voyez de quelles conséquences elle était grosse. Sous le règne des Vallière, on avait conservé l’habitude de traîner en campagne d’énormes pièces de 24 et de 16, excellentes pour battre une place ou défendre une position retranchée, mais très difficiles à manier sur le champ de bataille. Dans le système de Gribeauval, ces lourdes pièces sont reléguées, avec quelques modifications de détail, dans le service de siège ou de place et remplacées, pour le service de campagne, par des canons de 12, de 8 et de 4, plus légers que les anciennes pièces du même type. Désormais, partout où la troupe ira, l’artillerie pourra la suivre et l’appuyer ; elle ne gênera plus ses mouvemens offensifs et ne risquera plus, en cas de retraite, d’entraver sa marche et de se faire prendre. Car le nouveau matériel n’est pas seulement plus léger de poids : pour ajouter à sa mobilité, Gribeauval s’est avisé de munir ses affûts d’essieux en fer et d’augmenter la hauteur des roues de l’avant-train, multipliant ainsi la légèreté par la vitesse. En même temps il a trouvé la prolonge ! invention capitale, grâce à laquelle l’artillerie peut maintenant franchir les passages les plus difficiles, attendre l’ennemi à petite portée et lui tirer ses derniers coups sans dételer. « L’homme qui a introduit la prolonge dans l’artillerie mériterait par cela seul, a dit un écrivain justement estimé[1], d’y voir son nom honoré. » — « Et pourtant, ajoute le même écrivain, cette innovation disparaît presque dans le nombre de celles que nous devons à son auteur. » Considérez, en effet, le nombre et l’importance des réformes qui

  1. Favé, Etude sur le passé et l’avenir de l’artillerie.