Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/591

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vus à l’œuvre pendant la guerre de sept ans, a tenté d’abaisser la barrière qui les en sépare. Il n’a pas réussi, mais le règlement du 1er juillet 1788 sur le service intérieur a commencé de les relever dans l’estime publique et dans celle du soldat, en les astreignant à de sévères examens[1]. Qu’on fasse un pas de plus, qu’on achève de les émanciper, ces « hommes précieux[2], » et l’on verra comme ils se serreront autour du trône. Sans doute, il y a bien dans leurs rangs quelques têtes chaudes et des esprits ardens, inquiets, poussés et troublés par le vague pressentiment des grands changemens qui se préparent. La guerre d’Amérique a fait refluer vers l’armée beaucoup de jeunes gens d’une intelligence et d’une éducation au-dessus du commun et qu’en d’autres temps la carrière militaire n’eût pas attirés. A côté des vieux grognards encore très dévoués à l’ancien régime et ne voyant guère au-delà, s’est ainsi formée, petit à petit, dans les dernières années, toute une élite de jeunes bas officiers et soldats, pleins d’amour-propre et d’ambition, comme les Hoche, les Marceau, les Championnet, les Bon, les Jourdan, les Haxo, les Oudinot, les Lecourbe. Mais c’est le petit nombre, et ceux-là même, si l’on savait, si l’on voulait, comme ils seraient faciles à prendre ! Combien, parmi ces futurs vainqueurs de la Bastille, y regarderaient encore à deux fois avant de passer au peuple ? Seulement qu’on se dépêche : au train dont marchent les choses, il n’y a pas de temps à perdre ; les vieux patienteraient peut-être encore, ils ont attendu si longtemps ! Eux n’attendront pas. Qu’on se dépêche, car si la défection venait à se mettre dans l’armée, ce ne serait pas seulement, suivant le mot d’un contemporain, « une des causes de la révolution, mais la révolution même[3]. » Et cette défection, eux seuls bientôt pourront l’empêcher.


II. — LE SOLDAT.

Troupes réglées. — Le soldat, lui non plus, n’a pas changé depuis les guerres de Louis XIV ; bien qu’il ait perdu de sa réputation, l’espèce en est restée la même. Intrinsèquement, il ne vaut ni plus

  1. « Aucun soldat, dit ce règlement, ne pourra être nommé caporal s’il n’est de première classe, en état d’instruire un homme de recrue, de commander une section, instruit sur le service des postes ; en ce qui le concerne, de la meilleure conduite et tenue, sachant lire et écrire autant que possible, et après avoir subi devant son adjudant un examen auquel assistera le major. Un caporal ne sera reçu sergent qu’après avoir passé devant le major lui-même un examen qui, vu l’importance des fonctions de ce grade, sera rendu plus difficile encore… Et ainsi de suite jusqu’au grade d’adjudant inclusivement, »
  2. Turgot, lettre à Monteynard.
  3. Miot de Mélito. (Cité par M. Sorel dans l’Europe et la révolution.)