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d’un bon corps d’officiers de troupes. Telle la Prusse encore aujourd’hui, telle l’ancienne France. Aussi loin qu’on remonte dans le cours de son histoire, on y trouve un certain nombre de familles vivant noblement, ne pratiquant ni le commerce, ni l’industrie, ni la finance, ni les arts, et dont l’unique occupation est de donner de grands coups d’épée. Au moyen âge, quand elles ne se battent pas pour le suzerain, ou qu’elles ne courent pas sus au Sarrasin, elles guerroient entre elles. Aux XIVe et XVe siècles, toujours pour le plaisir de rompre des lances et par goût plus que par patriotisme, c’est elles qui chassent l’Anglais et qui travaillent à l’œuvre de l’unité française. Viennent les grandes mêlées du XVIe et du XVIIe siècle ; c’est encore elles qui en soutiennent le principal effort. De là, dans ces familles, par un effet de l’hérédité, un tempérament, des aptitudes et des instincts particuliers. Les enfans y naissent braves, entreprenans, guerriers, comme les chevaux de sang naissent vites. Tout jeunes, grâce à leur éducation physique, qui achève l’œuvre de la race, ce sont déjà des hommes faits, très capables de servir et même parfois de commander. Où ont-ils appris ? Nulle part. Ils savent pourtant, et notre histoire militaire est pleine des prouesses de cette jeunesse. A quinze ans, Bayard était déjà l’un des plus rudes jouteurs de son temps ; à seize, au combat d’Arnay-le-Duc, le Béarnais conduisait sa première charge de cavalerie ; à douze, au siège de Fribourg, le prince de Montbarey, enseigne au régiment de Lorraine, recevait dans les tranchées le baptême du feu ; à treize, Guibert suivait son père à l’armée d’Allemagne et s’y distinguait ; à quatorze, le fils du duc de Boufflers commandait une des colonnes chargées d’attaquer Raucoux, et comme il n’était pas assez grand pour escalader les retranchemens ennemis, son père, qui était venu se placer à ses côtés, le prenait à bras-le-corps et le jetait de l’autre côté[1]. Et combien d’autres, combien de petits Bara dont l’histoire n’a pas gardé les noms, tant la bravoure était banale, même chez les enfans, dans les rangs de cette noblesse !

A la fin du XVIIIe siècle, malgré l’introduction de l’élément bourgeois dans l’armée, la composition des cadres n’a pas sensiblement changé ; elle est toujours essentiellement aristocratique, et si cette composition n’est plus en rapport avec le mouvement des idées, il faut reconnaître qu’au point de vue purement militaire elle présente de singuliers avantages. Pour relever le commandement, après la guerre de sept ans, il avait suffi d’un retour d’honnêteté dans le gouvernement et d’un changement de règne ; il n’y eut même pas à toucher aux cadres, tant ils étaient demeurés solides. La défaite a

  1. Montbarey, Mémoires.