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mais le patronage l’accompagne et le dirige, si la résistance d’un naturel récalcitrant rendu à la liberté ne s’y oppose pas. Hamlet criait à Ophélie : « Au couvent ! au couvent ! » Aux enfans arrachés à la tourbe des vagabonds et que le travail discipliné a essayé de moraliser, je dirais, si ma voix pouvait être entendue : Au régiment ! au régiment ! C’est là qu’est le salut définitif, c’est là que, inconsciemment, on subit la fortifiante influence de l’esprit de corps et que l’on acquiert des sentimens d’honneur, par cela même que l’on porte sa part, si faible qu’elle soit, de l’honneur de la patrie. Aux âmes rétives, l’armée offre un dressage excellent ; plus d’un vaurien est devenu irréprochable pour y avoir été soumis. La sévérité des règlemens militaires ne transmute pas les métaux comme l’alchimie du temps passé, mais elle fait d’autres prodiges plus importuns et de conséquences plus hautes : elle transmute les caractères ; avec la violence elle fait de l’énergie, avec la brutalité elle fait du courage ; elle enferme l’homme dans des prescriptions minutieuses qui neutralisent ses mauvais instincts, elle met en lui l’esprit de sacrifice et lui enseigne à mourir pour une cause sacrée. Comme le vice, l’héroïsme est contagieux, et l’un détruit l’autre. Que l’on n’oublie pas un des premiers pupilles du pasteur Robin, ramassé dans les rues, en frontière du crime, et qui porte aujourd’hui l’épaulette que sa valeur a méritée.


II. — L’ASILE TEMPORAIRE.

Si un des apprentis, devenu ouvrier, traverse, au cours de son existence, une période de chômage, il trouvera rue Clavel même, non loin de l’école industrielle où il a été élevé, un asile temporaire qui le recueillera et lui permettra d’attendre sans souffrance des jours meilleurs. La maison est presque mitoyenne à celle qu’habite le pasteur Robin, qui la surveille et la visite avec assiduité. L’organisation, quoique fort simple, tient à la fois de l’Hospitalité de nuit, de l’Hospitalité du travail et du Patronage des Libérés ; comme dans les hospitalettes de certains pays de montagne, on y reçoit les voyageurs, les indigens et les égarés. Petite maison, de chétive apparence, qui a dû être, un vide-bouteilles à l’époque où Belleville, encore libre de fortifications, était verdoyante de jardins attenant à des restaurans champêtres dont Paul de Kock a célébré les grandeurs. À la place des guinguettes où les grisettes et les commis de nouveautés cueillaient les lilas du printemps, se balançaient sur les escarpolettes et chantaient les refrains de Déranger ; à la place des grands arbres, des ruelles herbeuses, des nourrisserièe, des pépinières de fleuristes que j’ai aperçus aux jours de mon enfance, on