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trapèzes, les haltères, et je suis étonné de ne point les voir, car jamais un gymnase destiné à des enfans âgés de dix à dix-huit ans n’est assez amplement outillé. Au fond du préau, avec l’aspect d’une petite fabrique de province, l’école industrielle élève ses deux étages : au premier, les ateliers ; au second, le dortoir ; dans le sous-sol, une large cave bien aérée où les enfans peuvent jouer pendant les jours de pluie. L’établissement est séparé des jardins voisins par des murs trop bas, qu’il est facile de franchir et qui sont propices aux évasions. Parfois un gamin s’en va, car le vagabondage l’appelle au dehors ; on ne tarde pas à le ramener, à moins qu’il ne revienne de lui-même, l’air contrit, le regard inquiet,


Tirant l’aile et traînant le pied.


Est-on bien sévère pour ces escapades ? Je ne le crois pas, car là, plus que partout ailleurs, on doit savoir qu’il faut avoir subi les effets d’une éducation persistante pour renoncer à la vie indomptée et à l’attrait des habitudes perverses. J’imagine que les coupables en sont quittes pour un sermon dont la longueur équivaut à un châtiment.

Les enfans que j’ai vus là appartiennent, pour la plupart, à la plèbe du vice précoce, qui semble réservée à la Petite-Roquette et aux orphelinats de correction charitable. Tous, sans exception, rentrent dans une des quatre espèces qui constituent le fond même du vagabondage parisien ; ils sont ou d’une intelligence habile au mal, — ou bornés et passifs, — ou stupides, — ou délaissés par leur famille et réduits à la nécessité de gagner leur vie sans en avoir la force. Ceux-ci sont très intéressans, on ne saurait leur venir en aide avec trop d’insistance. C’est, je crois, sur la première et la dernière catégorie qu’il est le plus facile d’exercer une influence préservatrice. Dans l’énergie des uns, parfois poussée jusqu’à la révolte, il n’est pas impossible de découvrir les élémens de la persistance ; du courage et souvent de la vanité, qui surexcite et entretient l’émulation dont on peut tirer parti pour des actions louables. Dans ce monde où les vices ne sont encore qu’à l’état embryonnaire, ces polissons insurgés et violons forment une sorte de caste à part ; selon qu’on les livrera à eux-mêmes ou que l’on parviendra à convertir leurs défauts en qualités, ils seront de redoutables criminels ou d’excellens soldats, « débrouillards » et aptes aux coups de main. Sur les autres, sur ceux que la famille a rejetés par indifférence ou pour se délivrer d’une charge pesante, l’œuvre d’amélioration est facile ; ils s’y prêtent ; l’irrégularité de leur existence n’a été qu’accidentelle et pour ainsi dire forcée ; le mal eût été pour eux une sorte