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d’imposer le régime de l’isolement à tous les condamnés. C’est le seul moyen, dans une certaine mesure, de sauvegarder la société des périls qui la menacent sans cesse.

Ces réflexions, il est fort probable que M. le pasteur Robin les avait souvent faites pendant qu’il habitait Montflanquin et qu’il visitait la maison centrale d’Eysses, où il recevait les confidences de ses coreligionnaires détenus. Elles se présentèrent plus vivement encore à son esprit, lorsqu’il fut installé à Belleville et qu’il put voir les bandes de gamins errans à travers le square des Buttes-Chaumont et sur les terrains vagues que traverse la rue des Pyrénées. Là, des enfans se sont creusé des tanières et y viennent dormir, comme les chiens des prairies ; les fours à plâtre des carrières d’Amérique ne sont pas loin, et l’on y a chaud pendant les nuits d’hiver. Dans l’arrondissement, dans les quartiers voisins, les faux ménages ne sont point rares ; les pauvres petits êtres qui sont issus de ces unions fortuites sont peu surveillés, ils prennent la clé des champs pendant que le père boit au cabaret et que la mère danse au bal public. Le dévergondage de la famille accidentelle fait la mauvaise conduite de l’enfant. S’il ne reparaît pas, le soir, à l’heure du coucher, on s’inquiète : « Où donc est le petit ? » on se met en quête, on le retrouve baguenaudant au long des rues ; on lui donne une bourrade et on le ramène au logis. Il recommence ; on ne s’en émeut guère. Bast ! il reviendra. Il ne revient plus ; la mère en parle quelquefois, le père répond : « Laisse-moi donc tranquille avec ton méchant gosse ! Il est parti, bon débarras ! » C’en est fait de l’enfant, à moins qu’une main secourable ne le saisisse et ne l’emporte là où l’on enseigne le travail et la moralité. Pour sauver un garçonnet qui s’égare et bientôt ne saura plus où retrouver le bon chemin, il faut l’intervention administrative, une sentence judiciaire ou l’autorisation des parens, qui ne la refusent jamais, car c’est tout bénéfice pour eux.

L’Angleterre, qui parfois pousse jusqu’à l’absurde le respect de la liberté individuelle, a jugé que le vagabondage était une maladie sociale que l’on ne pouvait combattre trop énergiquement, et elle l’a frappé d’une mesure draconienne ; à l’article 14 de la loi votée en 1366, elle a édicté la disposition que voici, et qui ferait jeter les hauts cris en France si l’on tentait de l’y appliquer : « Toute personne a le droit d’amener devant le magistrat, qui peut ordonner l’internement dans une école industrielle reconnue, tout enfant paraissant âgé de moins de quatorze ans trouvé en état de vagabondage, en état de mendicité ou en compagnie de gens connus comme voleurs. » Ceci est de l’arbitraire de qualité supérieure ; mais l’Angleterre est une personne pratique, qui ne s’arrête guère aux