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prétentions orgueilleuses de Marie-Thérèse, soit les répugnances sourdes et obstinées de George II. Le même effet était produit à La Haye, où, à peine la paix de Fuessen fut-elle connue, que les conseils les plus belliqueux prévalurent dans l’assemblée des états-généraux, et qu’on votait d’enthousiasme tous les supplémens de concours militaire et naval réclamés par Chesterfield (un peu malgré lui) pour la continuation de la guerre. Même résultat aussi à Dresde, où Auguste III et son ministre, mettant fin à leurs hésitations vraies ou simulées, se précipitaient ouvertement dans les bras et aux pieds de Marie-Thérèse. Ordre était envoyé au ministre saxon, à Vienne, de se déclarer prêt à exécuter le traité de Varsovie et de promettre l’aide de son maître pour l’attaque de la Silésie, sans insister davantage pour lui faire réserver d’avance une part dans la province à reconquérir. Par le même acte, Auguste s’engageait, non pas expressément, à renoncer à la couronne impériale si elle venait à lui être offerte, mais à s’abstenir de toute démarche pour la rechercher et de toute opposition au choix du grand-duc. Et ces concessions n’étaient pas aussi désintéressées de sa part qu’elles en avaient l’air ; car Marie-Thérèse, en échange, offrait à l’ambition d’Auguste d’autres perspectives. — « Il ne suffisait plus, disait-elle tout haut, d’enlever au voleur de la Silésie le bien qu’il avait dérobé. Pour venger la justice offensée et assurer le repos de l’avenir, c’était le spoliateur qui devait être dépouillé à son tour. On réduirait à d’étroites limites le domaine héréditaire de la maison de Brandebourg, et dans le butin enlevé à l’ennemi commun, chacun pourrait se tailler un lot à sa convenance. » — Un partage des provinces prussiennes était déjà médité et une nouvelle négociation engagée sur cette base. Ainsi, de quelque côté que Frédéric jetât ses regards, il ne voyait plus que passions déchaînées contre lui. Dans le concert des princes, nulle voix ne s’élevait plus en sa faveur, tandis que les populations, le voyant seul rester en armes, l’accusaient seul aussi de la prolongation de leurs souffrances ; ses amis se taisaient ; ses ennemis, peu contens de le vaincre, ne songeaient plus qu’à l’écraser[1].

Dans cette défection générale, une dernière espérance lui restait encore, et, comme dit son historien Droysen, une dernière corde à son arc ; mais, par cette fatalité qui s’attache souvent à la mauvaise fortune, celle-là aussi vint inopinément à se rompre à la dernière heure. Il croyait pouvoir compter au moins, pour empêcher la Saxe d’agir, sur l’intervention amicale de la Russie. On sait quel soin il avait mis, dès le début de la guerre, à se ménager la bienveillance de sa puissante voisine, la tsarine Elisabeth, dont la neutralité lui

  1. D’Arneth, t. III, p. 38 et suiv. — Pol Corr., t. IV, p. 106.