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à recueillir dans cet ensemble des affaires européennes dont les élémens sont si complexes.

Les situations se modifient, les intérêts se déplacent, les rapports changent, cela n’est pas douteux, et rien ne le prouve mieux d’une certaine façon que cet incident qui vient de se produire en Allemagne sous la forme d’une divulgation diplomatique, qui dévoile assurément des côtés curieux de la politique contemporaine. De quoi s’agit-il ? Le chancelier d’Allemagne, on le sait, a mis, pendant quelques années, toute son habileté à donner à l’Europe la représentation de ce qu’il appelait l’alliance des trois empires. Cette alliance n’a pas visiblement porté tous ses fruits, pas même pour M. de Bismarck, qui en était l’inventeur, le promoteur, et qui se flattait évidemment d’en demeurer le bénéficiaire. La Russie, quant à elle, n’a pas tardé à s’apercevoir qu’elle avait aliéné l’indépendance de sa politique, et elle a fini par reprendre sa liberté, sans dissimuler qu’elle entendait se servir de cette liberté dans l’intérêt de son rôle européen, comme dans l’intérêt de son action en Orient. M. de Bismarck, à défaut de l’alliance des trois empereurs qu’il n’avait plus, a fait la triple alliance avec l’Autriche et l’Italie, qu’il a signée ou renouvelée récemment sans trop d’enthousiasme. C’est la situation qui existe aujourd’hui, qui s’est dévoilée surtout depuis quelques mois. La Russie est restée en dehors de ces combinaisons : elle n’est pas une ennemie pour l’Allemagne, elle n’est pas non plus une alliée ; elle entend rester une spectatrice vigilante, attentive, prête à porter ses forces partout où ses intérêts l’appelleront, dans l’Occident comme en Orient, et selon les circonstances qui se produiront. Elle n’a pas caché qu’elle croyait avoir été dupe au congrès de Berlin, qu’elle ne voulait plus l’être. Les journaux de Moscou et de Saint-Pétersbourg, allant plus loin, ont accusé tout haut le chef de la chancellerie allemande, M. de Bismarck, d’avoir abusé de la Russie, d’avoir engagé l’Autriche en Orient, par l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine, avec la préméditation profonde et calculée de tenir désormais en échec l’influence russe dans les Balkans. C’est alors que les journaux allemands, organes du chancelier, ont répondu à leur tour en divulguant un traité secret qui aurait précédé la guerre de 1877, par lequel l’occupation de la Bosnie par l’Autriche aurait été consentie et acceptée par la Russie, sans aucune participation ou intervention de l’Allemagne ; ils ont ajouté que le congrès de Berlin n’avait fait que sanctionner les dispositions du traité secret. C’est là le coup de théâtre, qui n’est en apparence que la divulgation inattendue d’un acte rétrospectif de diplomatie, qui peut néanmoins avoir sa signification et son importance dans la politique du jour, dans les rapports des puissances qui se trouvent en jeu.

La polémique ne laisse point d’être édifiante, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que tout le monde a un peu raison. Évidemment, le traité