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à l’occasion aussi, que cet homme est parmi les plus grands. Il existe une hiérarchie dans l’art, et des distances à garder, qu’on oublie trop aujourd’hui. Quand on signale les beautés d’un Wagner, d’un Verdi ou d’un Gounod, il s’agit, non pas de ces beautés courantes, qui durent à peine le temps d’être louées, mais de beautés supérieures et plus rares, qui vieilliront lentement, et peut-être ne vieilliront jamais.

Il n’a pas vieilli, l’entr’acte de Lohengrin, ce morceau d’une bravoure si fière, d’une couleur si féodale et si chevaleresque, où les trombones hurlent de joie. Plus doux et plus naïf sourit le chœur suivant. Couronnés d’églantine, les jeunes garçons et les vierges amènent les époux en chantant : Hymen, hyménée! Délicieux épithalame dont le dessin mélodique et le sentiment rappellent Boïeldieu. Sur le dernier accord, par un effet d’enharmonie exquis, le chœur s’éteint, et dans la nuit monte un frisson d’amour. L’admirable duo qui suit est le premier parmi les grands duos de Wagner. Il a tout pour lui : un crescendo dramatique qui va de la tendresse contemplative à l’égarement de la passion, l’abondance et la beauté des idées, la variété des mouvemens, la mélodie incessante, une clarté parfaite et des proportions harmonieuses. Les épisodes s’enchaînent aisément, aucune phrase n’est étranglée ou délayée; pas de redites, pas même de leitmotive, ou à peine; nulle préoccupation de système; partout la fécondité et la liberté du génie. La première phrase de Lohengrin est chargée d’amour; chaque note insiste et appuie. La phrase suivante est délicieuse, alanguie, presque énervée par l’usage, toujours cher à Wagner, du mode chromatique. Admirable encore, et chromatique aussi, léchant de Lohengrin : Viens respirer ces senteurs enivrantes ! C’est un peu la romance de l’Étoile, de Tannhaüser, mais plus passionnée et plus chaude, portée par des souffles plus forts. Peu à peu, la curiosité s’éveille et grandit au cœur d’Elsa; elle s’inquiète: cet époux inconnu, cet amour anonyme l’épouvante. En vain Lohengrin cherche à la rassurer. Avec une dignité un peu sévère, il lui reproche sa défiance; avec des élans magnifiques, il cherche à la ramener aux bras qu’elle veut fuir. Il y a là des pages sublimes; c’est en héros, presque en dieu, que Lohengrin parle à la jeune imprudente; un éclat surnaturel est dans sa voix quand il s’écrie: Ma route n’est pas ténébreuse : Je viens du monde des splendeurs! — Rien ne calme Elsa; elle pleure, elle supplie. Son hallucination est poignante; elle croit voir, et nous le voyons avec elle, le cygne qui revient chercher son époux. Déjà Lohengrin ne répond plus que par des cris d’angoisse, il sent le vertige de la catastrophe prochaine. Hors d’elle-même, Elsa n’écoute plus rien. Vainement retentit à son oreille le motif de la défense; sur un trémolo frénétique, la question fatale éclate enfin, Telramund parait aussitôt, et Lohengrin n’a que le temps de se jeter sur son épée et d’abattre le traître. Alors, dans un silence de mort, les timbales