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Parmi les quelques leitmotive de sa partition, il en choisit un seul, le plus saillant, celui qui représente le principal personnage ou l’idée maîtresse, et il en tire une symphonie. Tout Lohengrin tient dans le prélude comme une gerbe de roses dans un flacon de parfum. Berlioz a très bien dit de ce morceau : « c’est en réalité un immense crescendo lent, qui, après avoir atteint le dernier degré de la force sonore, suivant la progression inverse, retourne au point d’où il était parti et finit dans un murmure harmonieux presque imperceptible. Je ne sais, ajoute-t-il, quels rapports existent entre cette forme d’ouverture et l’idée dramatique de l’opéra ; mais, sans me préoccuper de cette question, et en considérant le morceau comme une pièce symphonique seulement, je le trouve admirable de tout point. » — S’il avait connu l’ouvrage entier, Berlioz eût saisi les rapports qui lui échappaient. En retrouvant au dernier acte, dans le grand récit de Lohengrin, la phrase du prélude développée une seconde fois, il eût compris que cette phrase symbolise l’essence même du héros, son être presque divin; que là est l’idée mère de tout le drame et la mélodie génératrice de toute la partition. Dans ce prélude, il n’aurait peut-être pas vu, avec Wagner, une troupe d’anges apportant aux chevaliers du Graal la coupe sacrée, et regagnant ensuite les célestes hauteurs; avec Liszt, un temple merveilleux reflété par une onde azurée ; il aurait vu seulement dans ce crescendo et ce diminuendo la figure musicale du sujet : l’approche d’abord, puis la plénitude, et aussitôt l’évanouissement du bonheur. En dehors de toute idée symbolique, le prélude de Lohengrin est de la plus grande beauté. Une exquise mélodie chante doucement au sein de l’orchestre. Elle flotte dans une atmosphère sonore; l’éther l’enveloppe et palpite autour d’elle de frissons lumineux. Faible d’abord et lointaine, exposée par les violens à l’aigu, elle descend et se fortifie ; elle se passionne avec les violoncelles, elle éclate avec les cuivres. Au-dessus d’elle, les violens étendent toujours leur voile vaporeux. Puis, à travers des ondulations immenses, elle remonte lentement vers les hauteurs, et comme un souffle qui passe elle disparaît.

Au premier acte de Lohengrin, le roi et ses barons sont assemblés sur le rivage de l’Escaut, sous le chêne où se rend la justice féodale, pour juger la cause d’Elsa. Toute cette scène est longue : récitatifs pesans, beaucoup d’intentions et de recherche, peu d’intérêt. Mais le héraut appelle la vierge accusée; elle vient, apportant avec elle le charme et l’émotion. La voici, une plainte de l’orchestre l’accompagne, et le peuple tout bas s’attendrit sur sa grâce et sa beauté. Impossible de mettre en quelques accords, en quelques notes plus d’accablement et de misère. Des instrumens désolés, hautbois, cor anglais, traduisent la détresse d’Elsa. Le silence même de la jeune fille est expressif, et sa tardive réponse : Mon pauvre frère! s’exhale en un soupir de regret,