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Les professeurs font de leur mieux pour faire entrer dans le cerveau de leurs élèves la plus grande somme possible de connaissances, dans un temps donné, sans se préoccuper de savoir si ce cerveau a la capacité nécessaire pour les contenir. Leur idéal serait de tout faire apprendre aux jeunes gens pendant la durée de leurs études, afin sans doute qu’ils n’aient plus rien à faire après. Ils perdent complètement de vue le but de l’éducation scolaire, qui devrait se borner à donner aux enfans une bonne méthode, des connaissances limitées mais solides, et le goût du travail, afin de réserver à leur avenir la jouissance délicate d’ajouter tous les jours quelque chose au petit capital amassé sur les bancs des écoles. Le chancelier d’Aguesseau disait à son fils aîné, au moment où il allait quitter le collège : « Mon fils, vos classes sont terminées, vos études commencent. » Nous sommes bien loin aujourd’hui de cette sage réserve. Les parens ne la comprendraient pas. Dominés par le désir, je devrais dire par le besoin, d’ouvrir de bonne heure à leurs fils une carrière qui les fasse vivre, aiguillonnés par l’amour-propre qui les pousse à en faire de petits prodiges, ils conspirent avec les professeurs pour les exciter à travailler plus que de raison. Ils veulent avant tout que leurs garçons l’emportent sur ceux des autres, sans se demander ce que ces succès de collège coûteront un jour à leur intelligence et à leur santé. Les enfans eux-mêmes, élevés dans ces idées, ayant perdu les goûts de leur âge, entraînés par l’exemple, par l’esprit de rivalité, se lancent à fond de train dans ce sport intellectuel, et, comme les chevaux de course, ils vont jusqu’au bout de leurs forces.

Ce n’est pas chose facile que de lutter contre ces influences combinées. Il ne suffira pas, pour en triompher, de diminuer les heures d’étude ni même de réduire les programmes de concours. La première mesure aurait pour effet de chasser des lycées les meilleurs élèves, ceux qui se destinent au grand concours ou aux écoles de l’état. Ils se réfugieraient inévitablement dans les institutions libres, afin de travailler à leur guise et de l’emporter sûrement sur leurs camarades de l’internat, réduits à huit heures de travail par jour.

L’allégement des programmes d’examen ne serait même pas un préservatif suffisant. Tant qu’il y aura beaucoup de candidats et peu de places, la difficulté d’en obtenir une sera la même, quoi qu’on fusse, et les jeunes gens désireux de parvenir se livreront au travail avec le même acharnement, pour devancer les autres, quelque restreint que soit le terrain de la lutte ; ils emploieront à pousser jusqu’à la perfection la préparation de leurs programmes réduits le temps qu’ils consacrent aujourd’hui à parcourir en entier le cercle démesuré de connaissances dans lequel ils sont forcés de se mouvoir. Il faut des mesures plus radicales pour déraciner