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seule, qui ne laisse pas à la réflexion le temps d’intervenir, ressemble à l’entraînement des chevaux de course. Il s’agit d’arriver en tête, de l’emporter sur les autres dans une lutte d’un moment. On apprend, non pas pour savoir, mais pour être prêt, le jour de l’examen, à répondre sans hésiter à toutes les questions d’un immense programme. Quant au profit ultérieur qu’on peut en retirer, personne n’en a souci. On ne peut pas attendre de résultats durables de cette instruction hâtive, et, si les écoles spéciales produisent tant d’hommes de mérite, si les jeunes gens qui en sortent peuplent les grands services publics de fonctionnaires distingués par leur savoir, c’est en dépit de l’éducation qu’ils y reçoivent et non par son fait. Peut-être verrait-on sortir de leurs rangs plus d’esprits originaux, plus de savans de premier ordre, s’ils n’avaient pas été tous pétris dans le moule uniforme d’une éducation mal dirigée. Cet enseignement à haute pression n’est propre qu’à former ces petits savans à lunettes, myopes, chétifs, bourrés de chiffres et de formules, s’obstinant à tout faire passer, les raisonnemens comme les faits, sous les fourches caudines d’une équation algébrique, et dont on trouve des spécimens dans toutes les carrières.

On ne m’accusera pas, je l’espère, de calomnier la science et le travail intellectuel. Je leur ai dû le bonheur de ma vie, et c’est au nom du culte que je leur ai voué que je proteste contre l’abus qu’on en fait partout aujourd’hui.

La myopie, à laquelle je viens de faire allusion, est un des résultats les plus fâcheux de l’éducation actuelle. Cette infirmité est extrêmement rare au moment de la naissance, et, bien qu’il faille tenir compte de l’hérédité, elle résulte, dans la grande majorité des cas, des conditions fâcheuses dans lesquelles les enfans travaillent, à l’école comme au lycée. On l’y voit naître et s’aggraver, d’année en année, pendant le cours des études. Cohn (de Breslau), en relevant les observations faites sur plus de 40,000 élèves, a trouvé qu’on comptait 1 myope sur 100 dans les écoles rurales, 5 à 11 pour 100 dans les écoles élémentaires, 10 à 24 dans celles de filles, 20 à 40 dans les écoles réales, 30 à 55 dans les gymnases. « Le nombre des myopes, dit cet ophthalmologiste, oscille entre 35 et 60 pour 100 dans les deux dernières années de nos gymnases et de nos écoles réales; il monte à 64 pour 100 à Breslau, à 75 à Magdebourg, à 80 pour 100 à Erlangen, et va jusqu’à 100 pour 100 à Heidelberg[1]. Les mêmes observations ont été faites en France, et personne n’en conteste l’exactitude. Toul le monde a remarqué la fréquence de cette infirmité chez les élèves de l’École polytechnique, et j’ai toujours été

  1. Conférence faite à la séance générale de la 53e réunion des naturalistes et médecins allemands, le 18 septembre 1880, par M. Hormann Cohn.