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exclusif des jeunes gens qui se préparent aux écoles spéciales, mais c’est chez eux qu’on les observe le plus souvent et qu’elles prennent le caractère le plus sérieux. Cela se comprend. Tant qu’il n’est question que de se mettre à même de subir, tant bien que mal, des examens d’aptitude, comme les baccalauréats, les élèves peuvent en prendre à leur aise. Ceux qui sont dépourvus d’ambition se préservent, comme je l’ai dit, par l’inattention et la flânerie intellectuelle; mais, quand il s’agit d’entrer dans les écoles de l’état, c’est autre chose. Ce sont des concours dans lesquels l’élite de la jeunesse française est engagée. Il faut arriver dans les premiers ; l’amour-propre et le souci de l’avenir sont en jeu. L’écolier insouciant et ennuyé, qui assistait passivement aux cours et sommeillait à l’étude, a fait place à un jeune homme ardent à la lutte, déployant toute son aptitude au travail et toute son intelligence, pour se faire une place dans la carrière qu’il a librement choisie. A l’indifférence a succédé l’émulation ardente, passionnée. C’est la rivalité avec ses doutes, ses émotions, ses angoisses et les suprêmes efforts des jours qui précèdent le combat. Tous ceux qui ont passé par les rudes épreuves des concours savent ce qu’elles coûtent. Les têtes solides, les intelligences d’élite unies à une constitution vigoureuse les traversent sans faiblir. Le plus grand nombre en sort fatigué, avec le besoin d’un long repos intellectuel. Les faibles sont obligés de s’arrêter en chemin ou meurent à la peine, après avoir passé par tous les degrés de la névropathie.

C’est d’abord un mal de tête que le sommeil apaise, sans le dissiper complètement; puis le sommeil lui-même disparaît peu à peu pour faire place à un état pénible, dans lequel le cerveau travaille encore et repasse douloureusement ce qu’il a appris pendant la veille. Bientôt l’appétit se perd, l’anémie se prononce, la sensibilité s’exalte, et ce grand garçon, naguère énergique et résolu, devient nerveux comme une femme, tressaille au moindre bruit et sent les larmes lui venir aux yeux à la plus légère émotion. Alors l’inquiétude le prend ; il sent que son travail ne lui profite plus, que son intelligence devient paresseuse et qu’il a trop préjugé de ses forces. Son imagination surexcitée lui montre sa carrière brisée, son avenir perdu. Un désespoir démesuré s’empare de cette pauvre tête déséquilibrée. C’est à cette période que le danger sérieux commence; les lésions cérébrales ne sont pas loin. Parmi ceux qui s’obstinent, plus d’un arrive à la folie ou meurt de méningite. Les autres ne se relèvent jamais complètement, et beaucoup de jeunes gens, qui annonçaient sur les bancs de l’école les plus brillantes dispositions, ne tiennent pas, dans le cours de leur carrière, ce que promettaient leurs débuts.

Cette éducation à outrance, dans laquelle la mémoire fonctionne