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il s’enhardit peu à peu et acquiert l’énergie et le courage qui prennent leur source dans la confiance qu’on a en soi. Ceux-là se blessent rarement, tandis que les enfans qui ont toujours été tenus en laisse sont exposés à des accidens graves, le jour où, livrés à eux-mêmes, ils veulent imiter leurs camarades et se livrer avec eux à des exercices auxquels ils ne sont pas accoutumés. Cette liberté, sagement mesurée, est aussi profitable au moral qu’au physique. C’est le remède le plus efficace contre les habitudes vicieuses que l’ennui, le défaut d’exercice, la promiscuité des dortoirs et le mauvais exemple font naître et entretiennent dans les lycées et les pensionnats. Un sentiment de réserve facile à comprendre m’interdit d’insister sur ce sujet; je dois rappeler pourtant que tous les médecins qui s’en sont occupés ont reconnu que le vice auquel je viens de faire allusion est plus commun chez les internes que chez les enfans élevés dans leurs familles.

Dans l’existence claustrale des lycées, la longueur des études et l’absence de distractions sont encore moins pénibles que la compression incessante sous laquelle il faut vivre, et qui devient intolérable lorsqu’on avance en âge. Ne pas avoir un instant pour s’appartenir, accomplir tous les actes de l’existence sous la surveillance souvent inintelligente d’un maître, sous la menace d’une réprimande ou d’une punition, cela devient à la longue, et vers la fin des études, un véritable supplice. On comprend alors l’antipathie réciproque qui s’établit entre l’élève et le surveillant. Les maîtres répétiteurs se rapprochent trop par leur âge des jeunes gens qu’ils sont appelés à conduire, pour leur inspirer le respect et la déférence nécessaires. Ils n’ont point encore acquis la patience et le tact qu’exigent ces difficiles fonctions. C’est une lutte de tous les instans, qui se traduit, d’un côté, par des froissemens continuels et, de l’autre, par des punitions souvent exagérées. Lorsque, de part et d’autre, l’exaspération est arrivée à son comble, on voit éclater ces révoltes insensées dont les parens ne se rendent pas compte et dont ils subissent les conséquences, parce qu’elles se terminent toujours par l’expulsion de quelques-uns de leurs enfans. Ce ne sont ni les maîtres répétiteurs ni les élèves qui sont coupables, c’est le système déplorable d’éducation dont les uns et les autres sont victimes. Et pourtant les parens devraient se souvenir. Pour ma part, je n’oublierai jamais les deux années d’internat par lesquelles j’ai terminé mes études. J’ai connu depuis les dures épreuves de la navigation, l’ennui des longues traversées, les calmes sous la ligne, les stations dans les colonies insalubres, j’ai souffert de la soif, de la fièvre et des privations de tout genre ; mais rien de tout cela ne m’a laissé un souvenir aussi cruel que mes deux années d’internat. Il est vrai que j’avais jusqu’alors grandi en liberté, au sein de ma famille, suivant