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n’étaient vraiment plus défendables. Or, tout au contraire, ce qui éclate dans beaucoup des actes qui datent de la seconde moitié du XVIIIe siècle, c’est une véritable recrudescence de l’esprit féodal et de l’orgueil de caste. Saint-Simon, dès la régence, avait donné le signal de cette réaction. Après lui et à son exemple, l’une des plus vives préoccupations des secrétaires d’état de la guerre sera de boucher toutes les ouvertures par où la roture commençait d’envahir l’armée. Saint-Germain lui-même, si hostile à la noblesse de cour, ne l’était pas moins à ces parvenus qui, souvent « sortis de la lie du peuple, avaient amassé assez d’argent pour acheter les grades sans avoir eu besoin de servir ni d’essuyer les coups de fusil[1]. » Et rien ne choquait plus ses idées, si libérales en tant d’autres points, que de voir « de bons et vieux gentilshommes confondus avec tant de personnes d’un rang inférieur. »

Singulier phénomène que ce retour offensif des préjugés aristocratiques à la veille même de la révolution ! Ce que Louis XIV, au faîte de la puissance et de la gloire, après la paix de Nimègue, n’eût pas osé faire pour sa noblesse, Louis XVI, entre Rosbach et Beaumarchais, y souscrit. Ni lui ni ses conseillers ne s’aperçoivent du danger auquel ils exposent la monarchie en voulant resserrer le tiers. Depuis longtemps celui-ci, par la force des choses, a fait sa trouée dans toutes les directions ; justice, administration, finances. Il a pour lui la clé qui ouvre toutes les portes : l’argent; il a l’opinion, le mouvement des esprits; il a la décadence et la corruption de cette partie de la noblesse qui a perdu, dans les intrigues de cour et d’alcôve, le meilleur de ses qualités militaires. Pendant vingt ans, une fille de finance a régné sur le premier trône du monde, et la « soumission de Louis XV pour une femme de cette classe a produit l’effet de la faire marcher presque de pair avec les classes supérieures[2]. » Les plus grandes maisons du royaume y cherchent maintenant de fructueux établissemens pour leurs cadets, quelquefois même pour leurs aînés, et c’est le moment que la royauté choisit pour exiger de ses sous-lieutenans quatre quartiers de noblesse de père, dûment certifiés « par le sieur Chérin, son généalogiste[3]. » Voilà l’intelligence avec laquelle elle se défend,

  1. Saint-Germain. Mémoires. (Voir aussi Gisors, p. 363, sur le danger du grand nombre d’officiers bourgeois qui entrent dans l’armée.)
  2. Montbarey.
  3. Décision du 22 mai 1781.— « Le roi a décidé que tous les sujets qui seraient proposés pour être nommés à des sous-lieutenances dans ses régimens d’infanterie française, de cavalerie, de chevau-légers, de dragons et de chasseurs à cheval seront tenus de faire les mêmes preuves (quatre quartiers de noblesse de père) que ceux qui lui sont présentés pour être admis et élevés à son école royale militaire, et que Sa Majesté ne les agréerait que sur le certificat du sieur Chérin, son généalogiste. «L’ordonnance du 17 mars 1788 sur la hiérarchie des emplois militaires apporta, disons-le, plusieurs exceptions à cette règle : en faveur des fils, petits-fils et arrière-petits-fils d’officiers-généraux, des fils de chevaliers de Saint-Louis ayant servi comme capitaines titulaires et des fils de capitaines tués à l’ennemi.