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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

des mains inexpérimentées au détriment de bons et vieux officiers. Le mal était grand, et le tableau qu’en a tracé l’historien de Louvois n’est que trop fidèle. On se tromperait, toutefois, en appliquant à l’armée de Louis XVI les mêmes couleurs et les mêmes critiques qu’à celles de Louis XIV et de Louis XV. Ce qui était vrai des abus et des proportions de la vénalité des grades en 1670 ne l’était plus également en 1789. A plusieurs reprises, le roi s’était efforcé de les réprimer. C’est ainsi qu’à la paix de Ryswick, pour faire place aux colonels dont les corps venaient d’être réformés, Louis XIV avait exigé de tous les officiers-généraux qui étaient en même temps colonels propriétaires[1] la vente de leurs régimens, ce qui en avait immédiatement fait baisser le prix. Plus récemment, une ordonnance du 26 avril 1774 avait fixé ce prix à 40 et 20,000 livres pour les régimens d’infanterie. L’an d’après, sous le ministère de Saint-Germain, une mesure d’une portée plus générale encore avait été prise. Le roi, sur la proposition de son ministre, avait rendu, le 25 mars 1776, une ordonnance portant « suppression de la finance de tous les emplois militaires des troupes d’infanterie, cavalerie, dragons, hussards et troupes légères. » — « Sa Majesté, disait en un fort noble langage le préambule de cette ordonnance, persuadée que rien n’est plus contraire au bien de son service, à la discipline et à l’esprit d’émulation qu’elle désire maintenir parmi les officiers de ses troupes que la finance attachée aux emplois militaires, par l’impossibilité de faire jouir la noblesse dénuée de fortune des récompenses qu’elle peut mériter par ses services distingués, s’est « déterminée à détruire un abus aussi préjudiciable à la gloire et à la prospérité de ses armes. »

L’abus, il est vrai, ne devait pas disparaître aussitôt; il eût fallu trop d’argent pour indemniser tous les intéressés, et l’ordonnance de 1776 s’était contentée de disposer qu’à l’avenir, en cas de mort, démission ou autrement, les emplois vacans dans les divers corps perdraient un quart de leur finance, de façon à être entièrement libérés à la quatrième mutation. Notons aussi que ces prescriptions ne furent jamais très rigoureusement observées, non plus du reste que celles de bien d’autres ordonnances. En matière de législation sous l’ancien régime, il ne faut jamais prendre les textes tout à fait au pied de la lettre. Même quand ils sont le plus formels, on n’en doit pas nécessairement conclure qu’ils fussent toujours appliqués par les intendans[2], témoin le nombre considérable d’ordonnances

  1. Il y avait jusqu’à des maréchaux de France qui restaient colonels de leurs régimens et qui ne s’en défaisaient qu’à des prix exorbitans.
  2. Au mois de février 1778, le roi faisait encore vendre quarante offices de capitaines de cavalerie. (Mention, p. 94.)