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français ne pouvait qu’être le préliminaire de sa mise en liberté. C’est ce qui arrive aujourd’hui, c’est ce qui paraît être en définitive le résultat de la négociation suivie en toute simplicité, avec une patiente modération, à Berlin.

A en juger d’après les apparences, on aura échappé encore à une crise qui aurait pu être plus grave : c’est certainement ce qu’il y a de mieux. Tout ce qui est gagné pour la paix est un bienfait pour les peuples. Tel qu’il est, cependant, si tant est qu’il soit fini, cet incident de Pagny a sa moralité, peut-être même plus d’une moralité, et pour la France, qui peut y puiser, si l’on veut, des conseils de prudence pour sa conduite sur sa frontière, et pour l’Allemagne elle-même, qui peut être intéressée à réfléchir, à se défendre des entraînemens de sa propre puissance. Nous tenons à ne parler qu’avec la plus simple modération.

L’Allemagne a la fierté de ses succès, c’est possible; elle en a aussi l’arrogance, c’est un fait tout humain. Elle encourage aisément ses serviteurs à tout oser, en croyant trop volontiers quelquefois que tout lui est permis. Quand on voit une cour de justice, qui a été la première cause des complications récentes, mandant devant elle, au besoin par voie d’arrestation, un fonctionnaire français comme prévenu de haute trahison contre l’empire, on se demande positivement ce que cela peut signifier. Si M. Schnæbelé s’était mêlé à des conspirations en Alsace-Lorraine, s’il avait été un agent d’agitation, il aurait eu assurément tort, il se serait gravement exposé, il serait sorti de son rôle : en réalité, le dernier rapport de justice qui vient d’être publié à Berlin n’articule rien de semblable contre lui. S’il s’est borné comme agent français à avoir les yeux ouverts sur ce qui se passait autour de lui, à se tenir informé et à informer son gouvernement, il n’a fait que ce qu’il devait, ce que font de leur côté les fonctionnaires allemands, sans qu’une cour française songe à les mander devant elle pour cause de trahison contre la France. Avec les procédés allemands, on peut aller loin : il n’y aurait pas un Français qui, accusé de relations suspectes, ayant eu par hasard l’occasion de s’exprimer un peu librement sur l’Allemagne et passant la frontière, ne fût exposé sans le savoir à être saisi pour crime de trahison. Cela rappelle un peu trop les décrets de Napoléon frappant le « nommé » Stein, déclaré coupable de haute trahison pour hostilité contre l’empire ! Il y a là évidemment une interprétation démesurée, un abus de la puissance souveraine, qui a été récemment une menace pour la France, qui peut être demain une menace pour d’autres, en attribuant à l’empire allemand une juridiction mal définie au-delà de ses frontières. Et qu’on ne dise pas que c’est un cas spécial, isolé : si le droit existait contre le commissaire français, il existerait contre d’autres; que devient la sécurité des relations?