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pour le malheur de Jacques. Cet accord discret de sentimens nous cause un délicat plaisir.

Cependant le héros a déclaré son amour ; et, par vertu, l’héroïne l’a fui. Au quatrième acte, elle revient, se croyant veuve; ils touchent l’un et l’autre au bonheur permis. Mais, par une péripétie tirée du Code, ce bonheur recule : on n’a pas la preuve de la mort de M. de Guessaint. Jacques, cette fois, désespère, il est tout près d’attenter à ses jours; Faustine tombe dans ses bras : « Mon honneur pour ta vie ! »

Les voilà l’un à l’autre, une seule âme, une seule chair; et cette union va être consacrée : le document souhaité, un messager l’apporte... Messager du destin, assurément ! Quelques mots, qu’il a prononcés par courtoisie, amènent la reconnaissance, — « l’agnition, » comme disait Corneille, interprète d’Aristote. Il y a là deux ou trois scènes entre la veuve du fusillé, son fils et la jeune femme qui l’a livré naguère, deux ou trois scènes qui sont toutes pleines, en effet, d’une terreur antique ou bien cornélienne. Et celle qui suit, où Jacques presse Faustine sur son cœur, et puis l’écarte et l’interroge : « Tu te rappelles mon père... Est-ce que je lui ressemble?..» Ah! si seulement c’était traduit de Shakspeare !.. On sait que c’est du Delpit : on applaudit, mais moins. On applaudit encore, et c’est justice, à l’heureux dénoûment, à la veuve qui abjure sa rancune, aux enfans réconciliés. On applaudit, et c’est justice encore, pour faire relever la toile, pour fêter ces généreux artistes: Mme Tessandier, M. Chelles, et cette distinguée recrue. Mlle Deschamps. On n’oublie pas leurs camarades, disparus au cours de la pièce, Mlles Pierval et Vrignault, MM. Gravier et Fugère. Mademoiselle de Bressier, à l’Ambigu, est montée comme elle aurait pu l’être sur des planches plus illustres.

Ce n’est pas facile, pourtant, de jouer la tragédie, même la moderne; et ce n’est pas facile de l’écrire : il y paraît bien. Si l’auteur commet quelques fautes, plutôt que d’en triompher on doit regarder ses mérites. « La tragédie est quelque chose de beau quand elle est bien touchée, » est-il dit dans la Critique de l’Ecole des femmes; il est vrai qu’un personnage, par commission de Molière, réplique aussitôt : « Quand, pour la difficulté, vous mettriez un peu plus du côté de la comédie, vous ne vous abuseriez pas. » Tragique ou bien comique, en fin de compte, « l’art est difficile; » — pourquoi n’est-il pas vrai que la critique soit aisée?


LOUIS GANDERAX.