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que Vénus? Le symbole d’un certain tempérament, dont la raison première est une lésion. Dès lors, on ne dira plus : « Puisque Vénus le veut... » Mais on dira: « Fatale lésion! » D’ailleurs, la disposition générale de l’ouvrage sera respectée : ni les examens de conscience ni les tirades n’y feront défaut. Ainsi transformée ou travestie, la pièce aura l’air d’une espèce de parodie sérieuse.

Mais par ces raisons. Renée pourrait faire sourire ou faire bâiller; — sourire : c’est une parodie ; bâiller : elle est sérieuse ; — Elle a fait crier cependant : où donc gît le scandale?

Un sujet tel que celui-ci, « ne donnant que de très méchantes idées, ne devait jamais remplir notre scène... J’ai vu les dames les moins délicates n’entendre ces mots, dont cette pièce est farcie, qu’avec le dégoût que donnent les termes les plus libres, dont la modestie ne peut s’empêcher de rougir. » C’est de Phèdre et non de Renée, comme on pourrait croire, qu’il est ici question, et ce témoignage d’un critique date de deux siècles. Un autre, il y a quatre-vingts ans, écrivait: « Si la poésie est l’art de farder le vice, je conviens que cette scène (où Phèdre se déclare; mérite de grands éloges; car la plupart des lecteurs ne reconnaîtront pas, sous la politesse des formes et l’élégance des vers, ce qui, sans ce déguisement, les aurait choqués au plus haut point. » Chez M. Zola, ce « déguisement» n’est pas en usage : suffit-il, pour expliquer ces hauts cris, d’alléguer que la vue de l’inceste, en ce temps-ci même, est trop pénible aux honnêtes gens? Mais M. Zola, qui n’est pas si barbare qu’on se le figure, a voulu ménager notre pudeur. S’il n’a pas pris la même précaution que Racine, s’il n’a pas mis sur le théâtre « la seule pensée du crime » au lieu du crime accompli, j’ose dire qu’il a fait plus pour les délicats : il a renouvelé le tour de Pradon! Celui-ci, pour corriger la donnée, avait inventé cette malice : Phèdre n’est pas la femme, elle n’est que la fiancée de Thésée. De même à peu près, si Renée est la femme d’Aristide Saccard, elle n’est sa femme que de nom. Dans ce roman, la Curée, que l’auteur a refondu pour le couler en drame, — il ne s’est pas contenté de le mettre en dialogue et de le découper par scènes, c’est une justice à lui rendre, — on était incestueux à la bonne franquette. Au moment de produire ces gens-là sur les planches, M. Zola tout seul, sans l’aide de M. Busnach, a été pris d’un scrupule. Quelqu’un avait dit de Pradon : « Il a détruit le sujet en voulant affaiblir le crime » M. Zola s’est exposé au même compliment. Son stratagème perfectionné est d’ailleurs plus extraordinaire que celui de l’inventeur : une telle femme, qui fait durer dix ans un mariage tout spirituel, est un personnage plus rare qu’une fiancée, ! Ajoutez que cette supercherie repose sur une combinaison encore plus étrange, et qui sent le mélodrame plutôt que la tragédie : Renée a été violée, on ne sait comment ni par qui; elle a révélé ce