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est aussi immuable qu’un article de foi, aussi raide, aussi tenace qu’un dogme, et les dogmes ne transigent jamais.

Si l’Anglo-Saxon du commun est le plus dogmatique des hommes, le plus obstinément attaché à ses préjugés, qui font partie intégrante de sa personne et qu’il ne saurait perdre sans cesser d’être lui-même, l’Angleterre, par un heureux contraste, a toujours été un pays de libre examen, de libre discussion, et, dans tous les temps, des Anglais d’humeur franche, d’esprit indépendant, se sont fait un devoir ou un plaisir de dire à leur pays toutes ses vérités. Les uns sont des philosophes, tels que M. Matthew Arnold, ce disciple de Platon, qui a appris de son maître l’art de tout dire sans jamais déplaire, n’a-t-il pas eu l’audace d’avancer que la population de la Grande-Bretagne se composait de trois classes, les barbares, les philistins et la vile populace? Il a assaisonné sa démonstration de tant de sel et d’agrément que personne ne lui en garde rancune[1].

D’autres sont moins philosophes que lui ; ils ne possèdent ni son enjouement, ni ses rares connaissances, ni sa bonté d’esprit. Ils ne raillent pas, ils se fâchent, ils censurent, et leur zèle est amer. M. Sidney Whitman, par exemple, qui vient de publier un pamphlet contre les préjugés anglais, n’a jamais lu Platon, et son livre, composé sans méthode et sans art, écrit d’un style âpre, dur et chagrin, est plus curieux qu’agréable à lire[2]. Il y prend à partie, sans ménagemens, « le pharisaïsme propre aux classes moyennes de l’Angleterre, » qu’il déclare « plus sot, plus impertinent, plus répugnant que le chauvinisme français, que le philistinisme germanique, que l’orgueil agressif du Slave, que l’arrogance naïve de l’Espagnol, lequel n’a peur que de sa redoutable personne quand il la contemple dans son miroir. » — « L’estime pharisaïque que nous professons pour nous-mêmes est vraiment unique : il n’y a point de gouvernement comparable à notre gouvernement parlementaire, point de vie de famille qu’on puisse rapprocher de la nôtre, point de propreté comme celle que procure le savon anglais... Dire qu’une chose est anglaise, c’est dire qu’elle est excellente, et nous passons notre vie à savourer un mets délicieux, à nous repaître du sentiment de notre propre supériorité. »

Toutes les nations ont leurs philistins, qui se ressemblent par certains côtés, diffèrent par d’autres et qu’on peut regarder comme des variétés distinctes de la même espèce. Le philistin anglais n’oublie jamais qu’il a eu le bonheur de naître sur une terre entourée de toutes parts de grands fossés pleins d’eau. On a dit de lui qu’il n’était pas

  1. Culture and anarchy, an essay in political and social criticism, by Matthew Arnold, 3e édition. Londres, 1882; Smith, Elder et C°.
  2. Conventional Cant, its results and remedy, by Sidney Whitman. Londres, 1887.