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on a jeté trois mille individus, sont autant de gouffres où disparaissent ces malheureux abandonnés. Déjà l’on sait qu’à Médéa le général Duvivier a été obligé de faire de la gélatine avec ses bœufs, qui, tous les jours, mouraient de faim. L’officier supérieur qui commande à Miliana aura-t-il su tirer parti des carcasses des malheureux animaux desséchés par les privations de tout genre ? Nous avons appris, dans le courant d’août, par un espion, qu’au commencement du mois deux cent quatre-vingt-neuf hommes avaient péri, que beaucoup d’hommes de la légion étrangère avaient déserté, que la garnison, réduite à un très faible effectif, avait été obligée de construire un réduit dans l’intérieur de la ville, pour s’y réfugier en cas d’attaque. Nous ne savons plus ce qui s’est passé depuis cette époque, et je crains bien qu’on ne trouve nos malheureux soldats morts ou mourans. » Lugubre prophétie ! vérité lugubre !

Le capitaine de Montagnac ne se trompait que sur un point : le canon qu’il entendait de Birkhadem était bien celui de Changarnier ; mais ce n’était pas au col de Mouzaïa qu’on se battait, c’était au col du Gontas. Changarnier allait au secours de Miliana, non de Médéa ; il y allait, le 3 octobre ; c’était bien tard. Le dernier ravitaillement datait du 23 juin, et les magasins n’avaient reçu de vivres que pour un trimestre. Dès le 1er  septembre, le maréchal avait fait avertir le commandant par un espion qu’il se préparait à lui envoyer prochainement un convoi ; cependant, les jours et les semaines passaient, et le convoi ne se faisait pas. Pourquoi ce retard ? Changarnier, qui s’en inquiétait et qui était en situation d’en parler au maréchal, l’expliquait, sans le justifier, par la difficulté de mobiliser une colonne d’une certaine force, tant il y avait de petits postes à garder et tant la fièvre d’automne y propageait ses ravages ! Enfin, dans la nuit du 27 au 28 septembre, un homme vêtu en Arabe se présenta au palais du gouvernement ; c’était un échappé de Miliana, ancien soldat de la légion étrangère, ancien ouvrier des arsenaux de l’émir. Les nouvelles qu’il apportait in extremis étaient de telle sorte qu’il n’y avait plus un jour à perdre. Appelé avant l’aube, le général Changarnier reçut les instructions du maréchal. Le soir même, il était à Blida, donnant ses ordres pour le rassemblement des troupes et l’organisation d’un convoi destiné, selon le bruit public, au ravitaillement de Médéa. Personne, même dans l’état-major du général, n’avait reçu ni pénétré son secret. Ce ne fut qu’au bivouac, près de Haouch-Mouzaïa, dans la soirée du 1er  octobre, que les troupes apprirent où on les menait.

Il y avait, avec les zouaves, trois petits bataillons détachés du 17e léger, du 24e et du 48e de ligne, quatre cents chasseurs d’Afrique, deux compagnies de sapeurs, une batterie de montagne. Les