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son nom, Aïn-Tailazid. Aussitôt le terrain choisi, on y avait construit d’abord la redoute du télégraphe, puis un vrai camp retranché. Des dix bataillons que le général Changarnier avait immédiatement sous la main, quatre occupaient avec lui Aïn-Tailazid; les six autres, qui étaient à Blida, venaient à tour de rôle relever les premiers.

Dans la seconde quinzaine de juillet, le télégraphe avait reçu tous ses apparaux ; les employés étaient à leur poste. Le 28, par un temps superbe, on se mit en mesure d’échanger avec Médéa les premiers complimens. Les grands bras de la machine aérienne s’agitèrent : « Attention !» Médéa n’eut pas l’air de s’en apercevoir. Deux fois, trois fois, on répéta le signal : Médéa ne répondit pas. Les jours suivans, Aïn-Tailazid continua de gesticuler : peine perdue. Enfin, le 2 août, le général Changarnier eut l’idée malicieuse d’intercaler, parmi des signaux hors de sens, trois mots : « Ordonnance... Avancement... Lieutenant-général. » O miracle! Aussitôt les bras de Médéa s’agitèrent : « Signal pas compris ; répétez. » A quoi ceux d’Aïn-Tailazid ayant répliqué : « Gouverneur très mécontent de n’avoir pas de vos nouvelles, » Médéa redevint inerte; mais on avait désormais le mot de l’énigme : la paralysie n’était que volontaire. C’était un entêtement du général Duvivier : commandant d’une place bloquée, il ne voulait plus communiquer avec le dehors. « La position de Médéa n’était pas fâcheuse, écrivait un peu plus tard le maréchal Valée à M. Thiers ; le manque de communications tenait à l’esprit de système, bien connu dans l’armée, du général Duvivier. Plusieurs Arabes que j’ai laissés près de lui porteraient volontiers des dépêches à Médéa ; par système, il s’isole et ne fait aucun usage des moyens mis à sa disposition. L’année dernière, lorsqu’il commandait à Blida, je ne pouvais avoir de rapports de lui qu’en envoyant le général d’Houdetot les chercher. »

Le maréchal avait, lui aussi, ses entêtemens; il s’était mis dans l’idée qu’entre Blida et Médéa, par la région tourmentée des Beni-Sala, des Beni-Meçaoud et des Ouzra, il devait y avoir nécessairement un chemin direct, et ce chemin-là, il avait donné au général Changarnier l’ordre formel de le découvrir. Le 26 août, le 2e léger, le 24e de ligne, les tirailleurs de Vincennes, un escadron de chasseurs d’Afrique, une batterie de montagne, un convoi de cent dix mulets chargés de munitions et de vivres, se formèrent en colonne au-dessous d’Aïn-Tailazid; deux bataillons demeurèrent pour la garde du camp. Le 27 commença le voyage d’exploration ; il dura deux jours, sans autre résultat qu’un excès de travail et de fatigue au-delà de ce que les plus déterminés grimpeurs de montagnes auraient pu imaginer ou prévoir. Les Kabyles eux-mêmes étaient si loin de s’attendre à pareille visite qu’à peine essayèrent-ils d’y faire obstacle; s’ils avaient eu le temps de se réunir, la colonne, surprise