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quoique je ne me sois pas déshabillé depuis le 6 mai et que je n’aie pas couché autrement que par terre, rongé par les puces et les poux. Je suis tout en guenilles. »

Y avait-il beaucoup d’exagération dans ce tableau poussé au noir? Non, par malheur; les documens officiels ne le démentent pas, au contraire. Dans toute l’armée, au 1er novembre 1840, il y avait tout près de 15,000 malades ou malingres, incapables d’aucun service. Sur un effectif de 71,703 hommes, la situation à cette date porte en effet 14,812 absens et 56,891 présens, indigènes compris. Depuis le 1er juin, 4,200 hommes étaient morts dans les hôpitaux; 2,700 hommes avaient été évacués sur France; 745 étaient en congé de convalescence. Dans les seuls hôpitaux d’Alger, il y avait 3,600 malades, sans compter les malingres traités dans les infirmeries régimentaires. Le nombre des hommes présens sous les armes se réduisait à 150 pour un bataillon du 3e léger, à 500 pour le 53e de ligne, à 200 pour tout le 58e.

L’effrayante réduction des effectifs dans les troupes françaises eut pour effet d’incliner le maréchal à plus d’indulgence pour les corps indigènes. Le bataillon des tirailleurs de Constantine fut organisé définitivement à huit compagnies ; il y eut un demi-bataillon de trois compagnies à Bône, un bataillon de six compagnies à Alger. L’effectif de la gendarmerie maure, des spahis réguliers et des irréguliers reçut une augmentation notable. En somme, à la fin de l’année 1840, le nombre des indigènes soldés par la France était de 2,300 fantassins et de 3,300 cavaliers.


VIII.

S’il était vrai, comme s’en vantait le maréchal, qu’il eût fortement établi dans la vallée du Chélif la domination française, que de grandes communications fussent désormais ouvertes entre Alger d’une part, Médéa et Miliana de l’autre, comment se faisait-il qu’on n’eût reçu, depuis les premiers jours de juillet, aucune nouvelle ni de l’une ni de l’autre? Pour Médéa, notamment, le fait était inexplicable, car, à défaut de la correspondance postale, Duvivier avait à sa disposition la correspondance télégraphique. En effet, dès le 4 juillet, le général Changarnier, à peine reconnu de la veille et nommé commandant supérieur de Blida, avait reçu du maréchal la mission d’installer au point culminant des montagnes visibles de Médéa un télégraphe, et non content de lui en donner l’ordre, le maréchal avait voulu de sa personne aller reconnaître avec lui l’emplacement le plus favorable à l’exécution de ce dessein. Il le trouva chez les Beni-Sala, au Djema-Dra, à plus de 1,200 mètres de hauteur, au-dessus d’une belle source d’où le nouvel établissement prit