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A minuit, une colonne, composée des zouaves, du 2e léger et du 24e, quitta le bivouac, sous le commandement du colonel Changarnier. On cheminait en silence, l’œil au guet, l’oreille ouverte ; défense de tirer un coup de fusil; les armes étaient chargées, mais les bassinets n’avaient pas d’amorce. Sur le ciel, d’une sérénité splendide, deux nuages passèrent, colorés en rouge par les reflets d’un grand feu. Ce grand feu reflété, c’était assurément celui des réguliers au bivouac. Une détonation retentit, puis une autre, puis un cri d’appel. La colonne montait toujours, silencieuse, attentive. Quand elle arriva au col, elle n’y trouva personne et rien que trois ou quatre tisons fumans. Il n’y avait évidemment eu là qu’un petit poste qui venait de s’enfuir, et ce n’était pas ce foyer chétif qui avait pu donner aux nuages une coloration si intense. On eut, le lendemain, l’explication du phénomène, quand, tout à côté de la redoute de Haouch-Mouzaïa, on vit l’emplacement noirci d’une grande meule de foin toute brûlée.

Quoi qu’il en soit, le col était libre, et, dès l’aube, le maréchal avait mis en mouvement la cavalerie, le convoi, et l’infanterie à l’arrière-garde ; mais aussitôt ces réguliers qu’on avait cherchés où ils n’étaient pas étaient apparus, et avec eux les cavaliers et les Kabyles. C’était à peu près sur le même terrain et dans les mêmes conditions la répétition prévue et voulue par Abd-el-Kader du combat si émouvant du 20 mai. L’arrière-garde, que commandait le général d’Houdetot, se composait du 48e, d’un bataillon du 3e léger et d’un bataillon de la légion étrangère. A peine eut-elle dépassé le bois des Oliviers que les réguliers s’y logèrent et ouvrirent contre elle un feu nourri. En même temps, le convoi était attaqué sur ses deux flancs par des Kabyles qui le mirent en désordre. D’un petit plateau situé m niveau des mines de cuivre, une batterie de campagne canonnait le bois. Un peu en arrière et au-dessus se tenaient, l’arme au pied, les carabiniers et les voltigeurs du 2e léger, spectateurs du combat, impatiens d’y prendre part. Abrité des ardeurs du soleil par un bouquet de lentisques, le colonel Changarnier attendait. Le maréchal le fit chercher par le capitaine Lebœuf, un de ses officiers d’ordonnance. « On ne me fait là-bas que des sottises; allez-y, lui dit-il, et donnez à l’affaire une meilleure allure. » Comment se récuser? Mais aussi comment enlever au général commandant l’arrière-garde la direction du combat? Avec une habileté rare et sans manquer à l’ordre hiérarchique, Changarnier sut faire agréer des avis que le général s’appropria le plus naturellement du monde; puis, du conseil passant à l’action, il mena ses compagnies d’élite au soutien du 48e qui tint avec honneur, ce jour-là, le rôle difficile qu’avait joué le 17e léger dans le drame du 20 mai. Un dernier retour offensif rejeta l’ennemi