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12 mars était glorieuse pour le 1er de ligne et pour les commandans Mermet et d’Anthouard. Les Arabes disaient de ce carré : «C’était un blockhaus de feu. » Et maintenant, quand on sait que jamais les Arabes n’ont pu forcer un poste retranché, que l’on compare à la défense de Mazagran le combat de Ten-Salmet ! C’est celui-ci qui est vraiment un beau fait d’armes ; mais qui le connaît? Qui donc en a jamais entendu parler? La renommée est allée tout entière à l’autre.

Djémila nous a montré, dans les derniers jours de l’année 1838, un poste ouvert bien défendu ; la même province de Constantine va nous fournir encore, en 1840, l’exemple d’une défense aussi mémorable; mais, auparavant, il convient de signaler un fait considérable accompli dans le sud par Ben-Gana, le Cheikh-el-Arab. Bel-Azouz, khalifa d’Abd-el-Kader pour le Zab, était entré dans le Djérid avec un bataillon de réguliers, deux pièces d’artillerie et mille cavaliers. Attaqué, le 24 mars, par le Cheikh-el-Arab, et complètement battu, il perdit ses canons, ses tambours, trois drapeaux, la moitié de ses fantassins et le tiers de ses cavaliers. En témoignage de son succès, Ben-Gana envoya au général Galbois son propre yatagan tout ébréché des coups qu’il avait portés, les trois drapeaux et cinq cents oreilles droites proprement coupées sur les morts. A la réception de cet étrange et sanglant trophée, la population de Constantine se mit en fête, comme au temps du bey Ahmed, quand elle allait voir les têtes des Français accrochées à la kasba. Ben-Gana fût fait officier de la Légion d’honneur et reçut une indemnité de 40,000 francs pour les primes qu’il avait dû payer de sa bourse aux coupeurs d’oreilles. « Cet événement, écrivait le maréchal Valée au ministre de la guerre, a une grande importance. Pour la première fois depuis dix ans, un chef institué par nous marche seul contre les troupes d’Abd-el-Kader et obtient sur elles un succès constaté. Désormais le petit désert nous appartient. Ben-Gana, soutenu par nos troupes qui vont se rapprocher des Portes de fer, soumettra toutes les tribus du Djérid et appuiera Tedjini. Je prescris de lui rembourser les dépenses qu’il a faites. »

Puisque le gouverneur et le gouvernement, d’après son avis, acceptaient, dans la province de Constantine, le concours des grands chefs, il fallait bien accepter aussi, dans une certaine mesure, leurs façons de faire qui chez eux étaient de tradition : ainsi les oreilles coupées, ainsi, en dépit du maréchal Valée, la responsabilité collective et la razzia. Cernés, au mois d’avril, par trois colonnes parties de Constantine, de Sidi-Tamtam et de Ghelma, les turbulens Harakta se virent enlever en un jour 80,000 têtes de bétail ; il est vrai que le lendemain, quand on fit, au camp d’Aïn-Babouch, le recensement de la capture, il ne se trouva plus que 230 chameaux,