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qu’Abd-el-Kader avait concentré ses forces entre Médéa et Miliana, dans le Titteri. Le 13 décembre, pour la première fois, le khalifa de Mascara, Ben-Tami, fit une démonstration contre Mazagran, puis, le 17, une autre contre Arzeu. Le 23, ce fut le khalifa de Tlemcen, Bou-Hamedi, qui se présenta devant Misserghine. Deux mois s’écoulèrent ensuite sans autres incidens que des vols de bétail faits par les Gharaba, et des représailles infligées aux voleurs par le général Moustafa-ben-Ismaïl : le vieux guerrier avait reçu du gouvernement français le grade de maréchal de camp au titre étranger. Au mois de février 1840, des attaques simultanées furent dirigées par les Arabes contre Misserghine, Arzeu et Mazagran. La dernière, seule, vaut la peine qu’on s’y arrête, moins pour son importance réelle que pour la renommée excessive qui lui a été faite inopinément par la légende.

Mazagran, petite ville aux trois quarts ruinée, désertée par ses habitans, était pourvoie d’une redoute bien construite où 123 hommes du 1er bataillon d’Afrique tenaient garnison, sous les ordres du capitaine Lelièvre ; ils avaient une pièce de canon, des cartouches, de l’eau et des vivres ; rien ne leur manquait. Le 2 février, 500 ou 600 Arabes, dirigés par Moustafa-ben-Tami, se logèrent dans les ruines, tandis que, du côté de la plaine, un nombre de cavaliers à peu près double investissait la redoute. Le khalifa avait amené de Mascara une vieille bouche à feu qui ne put tirer qu’un seul coup. Après quatre journées de fusillade, inquiété sur ses derrières par le lieutenant-colonel Du Barail, commandant de la petite garnison de Mostaganem, et menacé d’être abandonné de ses hommes, qui, leurs maigres provisions consommées, ne pensaient plus qu’à regagner leurs douars, Ben-Tami essaya, le 6 au matin, d’une tentative d’assaut que la défense repoussa sans beaucoup de peine ni beaucoup de pertes ; dans ces cinq jours, elle n’eut que trois morts et seize blessés; après quoi, les Arabes se retirèrent. Réduite à ses proportions exactes, l’affaire faisait assez d’honneur aux défenseurs de Mazagran; mais que dire de ces exagérations prodigieuses, de tous ces détails imaginés ou grossis à plaisir, disproportionnés, hors de mesure : présence d’Abd-el-Kader, multitude d’assaillans, canonnade furieuse, carnage de l’ennemi, silos comblés de cadavres? Que penser de ces éclats de fanfare lancés par les journaux de Toulon et de Marseille pour étourdir les gens de bon sens, égarer l’opinion publique, abuser le gouvernement, donner le change à l’histoire? Oui, malgré la protestation des Annales algériennes, l’histoire est encore encombrée de ces faussetés voulues. Était-elle bonne pour l’armée, cette glorification, cette apothéose des zéphyrs, l’écume de la société militaire? « Les exemples qu’ils donnent aux autres troupes sont pernicieux, écrivait le général Trézel ; il faut regretter même d’avoir quelquefois des éloges à leur accorder pour