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le maréchal Valée prit à Douéra les troupes du général de Rostolan et se rendit le 30 décembre à Boufarik. Il y arriva triste, préoccupé, impatient des retards qui retenaient à Toulon la plus grosse part des renforts promis de France, humilié de l’attitude passive qu’en attendant il était contraint de subir. « On nous oublie, dit-il en arrivant au colonel Changarnier ; notre situation est déplorable ; elle est honteuse. Ces trois ou quatre mille hommes sont tout ce que j’ai pu réunir pour voir ce qui se passe autour de Blida et de Koléa. » Le lendemain, au point du jour, la colonne se mit en marche, grossie de la garnison de Boufarik. Le convoi, venu d’Alger à la suite du maréchal, fut laissé provisoirement à l’abri des parapets du camp retranché.

Après une avant-garde de spahis et de voltigeurs marchaient, à hauteur égale, deux bataillons du 2e léger, puis deux bataillons du 23e de ligne, les uns et les autres encadrant quatre cents chevaux du 1er chasseurs d’Afrique et quatre pièces de campagne, puis un bataillon du 17e léger et cent chasseurs à l’arrière-garde. La direction était donnée, non sur Blida, mais sur l’ancien camp d’Oued-el-Alleg. L’espoir du maréchal était d’attirer l’ennemi en plaine. Vers neuf heures, on vit un gros de cavalerie, détaché du blocus de Blida, défiler parallèlement au flanc gauche de la colonne, mais à rebours, contourner l’arrière-garde, reparaître sur le flanc droit et faire, deux heures plus tard, sa jonction avec un autre corps qui venait de traverser la Chiffa ; mais d’infanterie on n’apercevait pas trace encore. Deux fois cette masse de cavalerie fit mine d’attaquer; deux fois elle s’arrêta devant le feu des tirailleurs. Après une longue halte près de l’ancien camp d’Oued-el-Alleg, la marche fut reprise au sud, vers Blida. Il était trois heures; la journée, bien avancée dans cette saison, semblait perdue. On approchait du ravin herbu qui marque l’ancien lit de l’Oued-Kébir, quand un lieutenant des gendarmes maures, employés comme éclaireurs, vint dire au colonel Changarnier qu’il avait vu, de l’autre côté du ravin, en avant de la nouvelle direction que suivait la colonne, briller une ligne de baïonnettes. Se porter au galop vers le point indiqué par le guide fut pour le colonel l’affaire d’un instant ; alors il vit de ses yeux un gros corps d’infanterie marchant sur un grand front. Pendant qu’un de ses officiers courait à toute bride vers le maréchal, Changarnier tirait le 2e léger de la colonne et déployait, sur la berge droite du ravin, ses deux bataillons. Sur l’autre berge, l’infanterie signalée faisait aussi son déploiement. Il y avait là trois bataillons de réguliers, un seul déployé selon les règles, les deux autres divisés par pelotons entre lesquels étaient intercalés des groupes de Kabyles : l’uniforme de ceux-là, le burnous de ceux-ci marquaient, par des bandes alternées, grises et blanches, la composition singulière de