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adoptée chez les Russes. La tentative est néanmoins d’un réel intérêt. Je feuillète un autre album qui reproduit en fac-similé des manuscrits de tous les âges, les plus précieux diplômes conservés dans ces archives. On voit que la mine d’or est en bonnes mains, en pleine et intelligente exploitation.


IV.

Me voici dans la place, et dans les bonnes grâces du directeur des archives; c’est le moment de lier connaissance avec le Cremonini. On cherche, on m’apporte le codex qui renferme les leçons sur la nature du monde ; et j’entame le déchiffrement de ces hiéroglyphes. Oh ! les exécrables copistes du XVIe siècle ! Nous voilà loin des calligraphes gothiques et lombards, des nobles onciales, des belles écritures lapidaires qu’on mettait tout à l’heure sous mes yeux. C’est un curieux phénomène, cette loi constante en paléographie, d’après laquelle le signe de la pensée s’altère et se néglige à mesure que la pensée se fait plus riche et plus libre. Dans les textes des âges enfantins, l’idée est absente ou sommeille, la langue balbutie, la main est ferme et patiemment appliquée à son œuvre matérielle. Dès que l’esprit humain devient adulte, les idées s’éveillent, fécondent la langue, la main tremble et court, le travail remonte des doigts dans le cerveau ; le scribe, promu écrivain, méprise l’instrument dont il tirait naguère toute sa gloire.

J’avance péniblement, et je me demande si la lecture vaut toute cette peine. Des idées banales sous du beau latin fleuri. Un averroïsme dissimulé, destiné à faire valoir l’éloquence du discoureur et son audace de pensée. Il développe son texte à grand renfort de périodes cicéroniennes, en invoquant toute la nature à l’appui de sa thèse, avec des argumens choisis pour démontrer que toutes choses sont caduques, hormis l’esprit d’un savant qui a fait d’aussi bonnes études. Voici une description du printemps et une de l’hiver; la rhétorique d’un sermonnaire qui s’enfle pour nous prouver cette vérité assez évidente : le néant de tout. On voit les jolis ruisseaux fuir dans la vallée, l’herbe se flétrir, les feuilles tomber, l’homme très petit et très sujet à périr sous les étoiles très grosses et qui changent pourtant, elles aussi. On voit cent autres redondances du même ordre, un pou usées depuis l’Ecclésiaste. On voit surtout le professeur, confortablement installé dans sa chaire de Padoue, désireux d’attirer les doctes, les sénateurs, le beau monde, de charmer les oreilles délicates et de recueillir des applaudissemens.