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traité Desmichels : « Il en faut anéantir jusqu’aux traces. S’était-il écrié; car un arrangement qui en reproduirait quelque partie ferait de nouveau d’Abd-el-Kader une puissance redoutable. » Le 21 avril, M. Thiers prit la parole ; sans être une palinodie, son discours parut bien pâle à tous ceux qui avaient encore dans l’oreille ses accens belliqueux lorsqu’il était président du conseil : « Aurais-je. disait-il modestement, le désir d’expéditions illimitées qui voudraient aller jusqu’au grand désert? Non. Si l’on pouvait arriver à nous assigner quelques lieues de terrain autour d’Oran, d’Alger et de Bône, je serais satisfait; je ne suis donc pas partisan de l’occupation illimitée. Pour le présent, je demande la guerre, la guerre sérieuse, parce qu’elle est commencée ; et, pour l’avenir, les chambres décideront, après de longues discussions, lequel des deux systèmes doit être adopté, ou de traiter avec les princes africains, ou de se faire les propriétaires directs du sol. » Le lendemain, ce fut M. Guizot qu’on entendit; il par la dans le même sens, mais sur un ton plus résolu, ce qui fit dire un peu plus tard à M. Duvergier de Hauranne : « Il m’a paru que M. Thiers avait eu peur de paraître trop belliqueux et M. Guizot de paraître trop pacifique. De cette double crainte, il est résulté tant de restrictions et de précautions dans l’opinion de chacun qu’en vérité, à la fin de la séance, il devenait très difficile de les distinguer. »

C’était le 8 juin que M. Duvergier de Hauranne égayait la chambre par cette malicieuse remarque; le lendemain, M. Molé, auquel il n’avait pas ménagé non plus les épigrammes, monta à la tribune. « Tandis que l’honorable orateur, dit-il sans préambule, nous représentait comme poursuivant en Afrique une guerre sans but, les événemens changeaient de face, et tandis qu’il nous demandait ce que nous voulions, là comme ailleurs nous l’avons fait. A l’heure qu’il est, M. le général Bugeaud a traité avec Abd-el-Kader d’après des bases qui avaient été d’avance approuvées par le gouvernement du roi. Toutefois, ce traité ne nous est pas encore parvenu, et il a besoin de la ratification royale. » Quelques jours se passèrent; le traité, annoncé d’abord par le télégraphe, était arrivé. Le public en connaissait le sens, sinon le texte exact; c’était assez pour donner prise à l’opposition. « Si ce que l’on en dit est certain, disait M. Mauguin dans la séance du 15, à mes yeux le traité conclu entre le général Bugeaud et Abd-el-Kader n’est autre chose que l’abandon de l’Algérie. » Le lendemain, il insistait. Le ministère était visiblement embarrassé ; ses réponses n’étaient pas nettes. « Le projet, au moment où je parle, disait M. Molé, vient de repartir pour l’Afrique; rien n’est terminé encore. » Le 22, nouvelle insistance de M. Mauguin, même embarras du président du conseil ; de là ce petit dialogue entre l’interpellateur et lui : « En attendant.